L’association Equiterre publie ce 24 mai 2018 un rapport inédit sur l’obsolescence, un sujet encore peu traité au Canada malgré une réelle prise de conscience des consommateurs. L’association HOP a été appelée pour son expertise à contribuer à ce rapport dans le cadre du comité de suivi. Laetitia Vasseur, co-fondatrice et DG de HOP, a suivi ce projet et en livre ses appréciations.
Obsolescence des appareils électroménagers et électroniques : quel rôle pour le consommateur ?
Le rapport nous apprend un certain nombre de données intéressantes, en se basant sur une enquête auprès de plus de 2000 citoyens, quant à leur perception de l’obsolescence, ainsi que les éléments déclencheurs de la séparation d’un ancien appareil ou le renouvellement d’un nouveau.
Bien que l’étude développe peu l’aspect environnemental, elle rappelle en préambule un chiffre significatif : en 2016, près de 45 millions de tonnes de déchets d’appareils électriques et électroniques sont jetés, tandis que ce qui pourrait grimper de 17% d’ici 2021.
Cela nous rappelle l’urgence d’inverser, ou du moins stabiliser, la tendance pour stopper l’épuisement des ressources, le changement climatique, l’accroissement des pollutions, les conditions sociales d’extraction et d’exploitation des matières premières.
Les enjeux sociaux sont aussi évoqués. L’occasion de rappeler le lien entre obsolescence (programmée) et perte d’autonomie, voire d’aliénation, la perte de compétence populaire autour de la réparation, de la frustration liées à la promesse non tenue d’une société de la consommation de masse censée apporté la félicitée, sans parler de la perte du pouvoir d’achat. En réaction, nous pouvons observer un mouvement inverse de résilience : une quête de sens et d’authenticité accrue, un regain d’interêt pour l’auto-réparation, le Do it yourself ( couture, cosmétique) ou encore le slowfood et slowdesign. Si plus de 30 000 personnes soutiennent l’association HOP aujourd’hui, en moins de 3 ans d’existence, c’est bien le signe que l’obsolescence accélérée et la société du gaspillage n’est plus tolérable pour les citoyens. Comme l’indique le rapport d’Equiterre, il existe une perception élevée du phénomène d’obsolescence programmée : Pour 86 %, soit la très grande majorité affirme que les AEE sont volontairement conçus pour ne pas durer.
Responsabilité des entreprises prépondérante
Sur un plan légal, l’obsolescence programmée cela a été caractérisé comme un délit en 2015. Elle est néanmoins symptomatique d’une société du jetable inacceptable et insoutenable. L’obsolescence accélérée est un fait dont la responsabilité est partagée par les consommateurs, les fabricants et les vendeurs, voire l’Etat dans certains cas.
Elle ne concerne pas uniquement les « objets irréparables », ni même seulement les appareils électriques et électroniques, comme en atteste la plainte déposée par HOP sur le système de puce accélérant l’obsolescence des cartouches (dites vides) ou encore le rapport sur les collants.
S’il est essentiel de s’intéresser au rôle des consommateurs, il ne faut pas oublier la responsabilité des industriels.
La loi française, le dépôt de deux plaintes et la publication de deux rapports depuis 2015 ont permis de reconnaitre le phénomène de l’obsolescence programmée, ressentie fortement par les consommateurs comme le révèle le rapport, et le rôle des industriels, qu’il s’agit d’inciter ou contraindre à s’engager vers des produits durables et réparables, soit par la loi et les normes, soit par le pouvoir du porte-monnaie et des médias faisant entendre la voix commune des clients lésés.
Si la France est fer de lance, rappelons également que le sujet est reconnu à l’échelle européenne et internationale grâce notamment à un rapport d’initiative de Pascal Durand au Parlement Européen, ainsi qu’un rapport de l’ONU.
Les entreprises ont une responsabilité importante vis-à-vis de l’obsolescence accélérée qu’il ne faut pas minimaliser, par exemple :
- Les fabricants sont responsables de la conception (produits réparables ou au contraire collé, soudé, moulé, requérant des outils non standards, des réparateurs agrées) et du cahier des charges des produits qu’ils mettent sur le marché,
- Les softwares sont de plus en plus vecteurs d’obsolescence logicielle,
- Les distributeurs mettent en œuvre des stratégies marketing pour accélérer l’obsolescence des produits. Comme le pointe le rapport Equiterre, les techniques commerciales jouent un rôle crucial dans le choix de renouveler un équipement, avec la publicité, le marketing en rayon, les promotions, les points fidélité, le renouvellement d’abonnement
Des chiffres parlants
Nous pouvons comprendre à travers ce rapport que dans plus de 80 % des cas l’obsolescence est subit, il s’agit d’une obsolescence technologique et fonctionnelle (pas réparable, pas démontable, ne fonctionne plus). On se sépare d’un produit pour des raisons psychologiques dans seulement 20 % des cas environ (la responsabilité étant ici partagée par le consommateur, qui rachète un produit parce que l’ancien – encore en état de fonctionnement – n’est plus a la mode ou à son goût, et les vendeurs qui poussent à la consommation notamment grâce à des offres promotionnelles).
Toutes gammes confondues, les produits sont remplacés par les clients avant tout pour des raisons technologiques et économique (même si les raisons psychologiques arrivent environ au même niveau concernant le haut de gamme). Si l’obsolescence accélérée est subit (le produit n’est plus utilisable) dans la plupart des cas, nous pouvons comprendre alors pourquoi les consommateurs utilisent moins longtemps les produits que ce qu’ils estiment être une durée de vie raisonnable.
En effet, les consommateurs canadiens ayant répondu à l’enquête disent conserver un appareil électronique moins de 3 ans dans 44% des cas, et moins de 5 ans dans 61% des cas, alors que la durée de vie estimée raisonnable est évalué par eux à 7 ans. Concernant les produits électroménagers, ils sont conservés moins de 5 ans dans 45 % des cas alors qu’ils sont estimés à une durée de vie raisonnable de 10 ans (ce qui arrive dans seulement 15% des cas dans la réalité). Lorsque l’on sait, d’après l’étude Sapreka-Ademe, que les équipements électroménagers de type lavage et séchage tombe le plus en panne, et ceux entre 2 et 5 ans après l’achat, dès lors hors garantie dans 90 % des cas, nous comprenons mieux pourquoi nous ne pouvons pas garder nos produits autant que nous le désirerions.
Fort de ces constats, il paraît essentiel de ne pas moraliser le consommateur, avant tout victime de l’obsolescence accélérée des produits. Celui-ci subit, dans la plupart des cas, l’obsolescence logicielle et technique, il manque encore d’offres alternatives pour changer facilement de comportement d’achat, il est soumis à la publicité constamment et ce dès l’enfance, il a perdu de nombreuses compétences populaires au fil du temps (en matière de réparation et d’entretien), qui mériterait d’être enseigné en cours de technologie à l’école par exemple, ou grâce aux conseils des vendeurs en magasin par exemple.
Renversement de la tendance
Pourtant, la demande est bien présente et s’organise, avec le soutien d’une coalition d’acteurs, essentielle au renversement de la tendance.
Tandis que les associations de consommateurs classiques (traditionnellement consuméristes) s’intéressent peu à la durabilité et la réparabilité ou à la consommation engagée [1] ; le sujet, lui, prend de l’ampleur grâce à des citoyens qui se fédèrent (à travers HOP notamment), un plaidoyer citoyen qui donne des résultats et des Gouvernement qui s’engagent, ainsi que des entreprises qui entendent le message et se positionnent en pionniers de la durabilité.
Selon l’association HOP, cette tendance de fond peut s’expliquer par un changement de récit collectif. En effet, pendant la guerre, le devoir de sobriété était de mise tant les ressources étaient rares. Est venu ensuite le temps des 30 glorieuses et le devoir de sur-consommer, rencontrant les intérêts croisés de l’Etat, des entreprises, et des consommateurs. Aujourd’hui, nous entrons dans l’ère de la transition écologique, face aux enjeux écologiques irréversibles et à la crise économique et sociale, poussant les acteurs au devoir de simplicité volontaire et de l’économie circulaire, de manière durable.
Nous pouvons en effet constater, à travers l’enquête Equiterre, un potentiel fort pour l’allongement de la durée de vie des produits. Parmi les principaux critères déclencheurs de la décision d’achat d’un nouveau produit, la recherche de la durabilité est sous-jacente : certification de performance, classement des marques et tests dans les médias, fidélité à une marque dont on a obtenu satisfaction, recherche du meilleur compromis qualité-prix. L’enjeu de la réputation et de la confiance pour les marques est primordial. Les clients s’informent de plus en plus, recherche la qualité et se laisse peu influencer par la publicité traditionnelle dans la décision d’achat d’un produit.
Fort des résultats de cette étude, nous pouvons mieux comprendre l’attitude des consommateurs et la responsabilité des entreprises dans l’accélération de l’obsolescence des produits.