En faisant le choix de présenter la Feuille de route de l’économie circulaire dans une usine de Seb en Mayenne, le Gouvernement souhaite montrer qu’il accorde un rôle central à l’allongement de la durée de vie des produits. Les mesures annoncées pour favoriser la durabilité et la réparabilité des produits sont-elles pour autant satisfaisantes ?
Résultat de 6 mois de concertations, la Feuille de route de l’économie circulaire a été publiée le 23 avril dernier. Il s’agit d’un document de 46 pages énumérant 50 mesures que l’Etat s’engage à prendre en faveur de l’économie circulaire. Ce dernier est composé de 4 parties : mieux produire, mieux consommer, mieux gérer les déchets et mobiliser les acteurs. Il s’agit en fait d’un outil, qui permet au Gouvernement d’établir un calendrier de mesures concrètes pour atteindre les grands objectifs suivants :
- Réduire de 30% la consommation de ressources liées à la consommation française en 2030 par rapport à 2010,
- Tendre vers le 100% plastiques recyclés en 2025,
- Réduire de 50% les quantités de déchets mis en décharge en 2025 par rapport à 2010,
- Économiser l’émission de 8 millions de tonnes de CO2 chaque année,
- Créer jusqu’à 300 000 emplois dans l’économie circulaire.
Si ces objectifs sont ambitieux, il convient d’analyser la qualité des mesures envisagées pour les atteindre.
Le Gouvernement, qui s’attarde sur les statistiques de recyclage et de valorisation des déchets au niveau européen, souhaite, grâce à ce programme, trouver une place parmi les Etats pionniers de l’Union européenne sur certains points. Sur d’autres, l’objectif est seulement de rattraper son retard pour atteindre la moyenne européenne. Les mesures qui concernent l’allongement de la durée de vie des produits, le champ de compétence de HOP, figurent dans la partie dédiée à la consommation responsable.
HOP a pris une part active à la construction de ce document en poussant le Gouvernement à voir plus loin et à faire bouger le curseur des exigences, afin d’imposer une vraie rupture dans le mode de consommation et de production des objets du quotidien qui doivent être plus durables et réparables. L’association a joué un rôle déterminant pour la présence de plusieurs mesures dans la Feuille de route, et continue à porter ses autres propositions.
Des avancées sur la durabilité qui méritent une vigilance maintenue
Une mesure phare pour éclairer le choix des consommateurs : l’affichage de la durabilité
Hop se félicite que le gouvernement se soit engagé à prendre des mesures en faveur de la transparence. Au premier rang de celles-ci figure une proposition de HOP[1] : l’affichage obligatoire de la durabilité pour plusieurs catégories de produits à partir de 2020. Il s’agit de la mesure n°10 : “afficher de manière obligatoire à partir du 1er janvier 2020 pour les équipements électriques, électroniques une information simple sur leur réparabilité”.
Cette mesure constitue une étape bienvenue car elle permettra d’abord de faire assumer au producteur la réparabilité faible ou forte de son bien, puis de responsabiliser le consommateur qui bénéficiera d’une information claire et utile sur la réparabilité du bien qu’il achète. Ces effets auront deux conséquences[2] : Une incitation au producteur à rendre son bien plus attractif et donc plus réparable, et au consommateur d’acheter les biens qui ont une réparabilité plus forte.
Le choix du Gouvernement de parler d’un affichage du degré de réparabilité plutôt que de la durée de vie peut s’expliquer par la complexité à mesurer cette dernière. Pourtant, la durée de vie d’un produit comprend plusieurs critères, parmi lesquels la réparabilité. Plusieurs critères déterminent la réparabilité d’un produit : disponibilité des pièces détachées, des outils et notices disponibles, modularité, nombre de fixations, etc. Cependant, la priorité pour les consommateurs est avant tout de savoir si un produit pourra durer dans le temps sans tomber en panne. C’est pourquoi pour un affichage complet, il convient de prendre en compte également des critères de durabilité et de robustesse.
Il est également permis de s’interroger sur la méthode de mise en place d’un critère objectif et fiable de la réparabilité d’un bien qui nécessitera également un travail de fond auquel HOP s’associera, aux côtés de tous les acteurs. En lien avec son Club d’entrepreneurs engagés pour des produits durables et réparables ainsi que les acteurs institutionnels, l’association animera notamment un groupe de travail réunissant les entreprises pionnières et volontaires pour expérimenter l’affichage de la durabilité.
Des efforts très attendus pour rendre les pièces détachées plus disponibles
Le Gouvernement a également fait le choix de faciliter la mise à disposition de pièces détachées. En effet, la loi n° 2014-344 relative à la consommation crée une obligation pour les fabricants et les distributeurs d’afficher la durée de disponibilité des pièces détachées des produits. Seulement, le décret d’application du 9 décembre 2014 ne crée pas d’information négative, dénaturant ainsi l’esprit de la loi. Aujourd’hui, seuls les fabricants qui proposent des pièces détachées sont contraints par l’obligation d’affichage : un fabricant qui ne propose pas de pièces détachées n’a en revanche aucune obligation de le signaler. HOP demande de longue date la modification de ce décret pour y introduire une obligation négative, et préciser les modalités d’affichage de cette information.
La Feuille de route prévoit à présent expressément, en sa mesure n° 9 d’“étendre l’obligation d’affichage de la durée de disponibilité des pièces détachées vis-à-vis des consommateurs à l’obligation d’afficher leur éventuelle non-disponibilité, et porter l’extension de cette mesure au niveau européen, y compris pour la vente en ligne.”
Les effets induits par cette obligation iront dans le même sens que ceux de l’affichage de la réparabilité, en incitant les fabricants et les producteurs à proposer des pièces détachées et ainsi à monter en gamme de produits éco-conçus[3] et en informant mieux les consommateurs sur la possibilité ou non de réparer le produit. Si cet engagement est une étape importante, HOP ne freinera pas ses efforts tant que le décret ne sera pas réécrit.
L’éco-contribution adaptée pour encourager les producteurs à l’éco-conception
La mesure n°12 de la Feuille de route prévoit de “généraliser la mise en place de critères d’éco-modulation à toutes les filières REP et faire de l’éco-modulation un outil réellement incitatif, encourageant les producteurs qui mettent sur le marché des produits éco-conçus, grâce à des bonus-malus pouvant excéder 10 % du prix de vente HT des produits. Permettre, grâce à l’open data, l’accès des consommateurs à cette information relative à l’éco-modulation”.
Le Gouvernement n’invente pas ici un nouvel outil, mais ne fait en réalité qu’étendre l’éco-contribution. Dans le cadre des filières de responsabilité élargie du producteur, les producteurs (et in fine les consommateurs) paient une contribution au traitement des déchets. En fonction du respect de certains critères environnementaux, cette éco-contribution est plus ou moins importante. Ce mécanisme s’appelle l’éco-modulation : il vise à encourager les bonnes pratiques en récompensant des modes de production plus respectueux de l’environnement par un bonus, et à l’inverse en décourageant une production moins durable par un malus.
Par la mesure n°12, le Gouvernement vise à donner à cette modulation un impact bien plus important en augmentant fortement les bonus-malus. Il est intéressant de mobiliser ce mécanisme pour promouvoir l’éco-conception.
Il faudra cependant rester attentif à la définition des critères, au même titre que ceux retenus pour l’affichage de la durabilité, afin de garantir une véritable effectivité de la mesure pour parvenir aux objectifs fixés par la Feuille de route. Il est également souhaitable que le Gouvernement revoie à la hausse le montant-fourchette de 10% du prix HT. Ce montant pourrait être plus significatif pour avoir un effet sensible, au regard des multiples autres critères qui peuvent entrer en ligne de compte dans le processus de choix d’un consommateur.
Par ailleurs, le mécanisme de l’éco-modulation mériterait d’être rendu beaucoup plus transparent pour réaliser pleinement son potentiel. Publier les critères d’attribution des bonus-malus et les résultats permettrait d’informer les citoyens des efforts fournis ou non par les entreprises dans le sens de la durabilité. Cela donnerait la possibilité aux organisations compétentes d’établir des classements de marques, et ainsi de distinguer celles qui agissent pour allonger la durée de vie de leurs produits. Les marques seraient certainement sensibles à l’image que renverraient de tels classements. Aucune mention n’est faite d’une éventuelle publication, bien que, conformément aux règles de l’open data, tout citoyen pourrait demander à avoir accès à ces données.
Le Gouvernement doit s’assurer de l’application de la garantie légale
Enfin, le ministère de la Transition écologique et solidaire a également inséré une mesure concernant le renforcement de l’effectivité de la garantie légale de conformité[4]. L’Etat promet de renforcer les pouvoirs de sanction de la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF), organisme chargé de la protection des consommateurs, ainsi que de créer une plateforme d’ici 2019 permettant de le signaler lorsque des distributeurs refuseraient d’appliquer la garantie. Cette dernière mesure est précisément développée et promue de longue date par HOP. En effet, la moitié des distributeurs ne respectent pas leur obligation d’information de la garantie légale de conformité auprès du consommateur.
L’Etat s’engage par ailleurs à porter au niveau de l’Union européenne une extension de cette garantie afin de mieux protéger les consommateurs. Notons qu’en France, la garantie est de deux ans. Il semble donc prématuré qu’elle porte l’étendard d’une mesure qu’elle n’applique pas en l’espèce au sein de son espace national. Une extension à cinq, voire dix ans pour les produits électroménagers en France serait un signal fort à la Commission européenne, qui négocie actuellement les critères d’écoconception des appareils notamment électroménagers.
Notons cependant que la priorité immédiate au niveau européen est de s’assurer que la durée de garantie légale de conformité ne soit pas harmonisée à 2 ans maximum dans tous les Etats membres. C’est pourtant malheureusement le sens que prennent les négociations actuelles de la Directive vente de biens. Nous appelons donc les autorités françaises à maintenir une position forte pour que les Etats membres demeurent libres d’aller au-delà de 2 ans de garantie.
Les efforts de sensibilisation doivent mobiliser toutes les parties prenantes
Plus généralement, la sensibilisation des citoyens à l’économie circulaire est essentielle pour favoriser une évolution des comportements. L’intention du Gouvernement d’intégrer le concept d’économie circulaire à l’éducation au développement durable est donc louable. Dès le collège, les cours de technologie peuvent être l’occasion d’aborder les enjeux liés à l’allongement de la durée de vie des produits.
Les associations de protection des consommateurs et de l’environnement jouent également un rôle de sensibilisation des citoyens. Les soutenir dans la réalisation de leurs campagnes de communication permettrait au Gouvernement de compléter les actions de sensibilisation prévues dans la Feuille de route.
La réparation et la question de l’obsolescence logicielle, oubliées de la Feuille de route
La réparation, grande absente de la Feuille de route
Les mesures sur le renforcement de la garantie légale de conformité, sur l’affichage de la durabilité, et sur la disponibilité des pièces détachées ont le potentiel d’améliorer la réparabilité des produits. L’Etat prévoit également, en sa mesure n°8 de “renforcer l’offre des acteurs du réemploi, de la réparation et de l’économie de la fonctionnalité” en facilitant notamment la réalisation de cartographies des acteurs afin de leur offrir une visibilité, ou encore en permettant aux éco-organismes de financer des diagnostics de réparation.
Ces faibles mesures témoignent d’un manque d’ambition du Gouvernement pour soutenir la réparation, secteur qui rencontre pourtant de grandes difficultés. Lors de la publication de la Feuille de route provisoire en février, HOP a signé, aux côtés d’autres organismes, une lettre ouverte[5] invitant l’Etat à prendre des mesures fiscales pour rendre la réparation plus attractive que l’achat d’un produit neuf.
HOP soutient également l’idée de création d’un fonds dédié à la réparation géré par l’administration fonctionnant de la façon suivante :
Un client qui se rendrait chez un réparateur labellisé par le Gouvernement pourrait bénéficier d’une réduction sur le prix de la réparation (de l’ordre de 50% du total environ, dans la limite d’un prix de 200 euros pour la réparation par exemple). Le manque à gagner serait ensuite versé au réparateur. Ce fonds de soutien à la réparation serait financé par les entreprises et par un fléchage de l’éco-contribution, augmentée à cette fin[6].
Une telle mesure permettrait de faire baisser sensiblement le coût de la réparation et la rendrait par conséquent plus intéressante que l’achat d’un produit neuf. Elle contribuerait aussi à restaurer la confiance du consommateur envers le producteur et le réparateur, qui, bénéficiant d’un label, n’aurait pas à justifier sa bonne foi. Un système similaire a été mis en place par la ville de Graz, en Autriche : les ménages sont remboursés par la commune à hauteur de 50% du coût de la réparation (dans une limite de 100€) lorsqu’ils s’adressent à des professionnels inscrits sur une plateforme officielle[7].
Les réparateurs labellisés par les autorités pourraient également contribuer à sensibiliser les consommateurs. En conseillant directement les citoyens sur les bons gestes d’entretien, de réparation et de réemploi, ils se feraient ainsi l’écho à la communication des pouvoirs publics.
La mise en place d’un fonds dédié à la réparation pourrait constituer la première étape de l’affirmation d’un droit à la réparation pour les citoyens. Ceux-ci sont en droit d’attendre de pouvoir réparer leurs produits. Il convient donc d’interdire aux fabricants les stratagèmes techniques ou logiciels visant à verrouiller la réparation et à la rendre impossible pour les réparateurs indépendants.
D’autres mesures de soutien à la réparation portées par HOP n’ont pas été prises en compte, telles que des dispositifs fiscaux comme :
- Un crédit d’impôt,
- Une TVA réduite sur les objets d’occasion, sur les services de réparation (cf. Suède) ou sur les produits garantis par le constructeur au moins 5 ans afin de pallier le manque à gagner pour l’industriel, selon des critères de garantie listés et réglementés.
- La mise en place d’écochèques (pour la réparation, l’achat de produits de seconde main…)
Dans un modèle d’économie de la fonctionnalité, la valeur d’un bien réside dans son usage et non plus dans sa propriété. C’est notamment le cas des vélos en libre-service ou des pneus vendus au kilomètre plutôt qu’au volume. Ainsi, l’économie de fonctionnalité a le potentiel d’encourager les fabricants à faire des efforts d’éco-conception. Responsables d’un service, voire de biens qui peuvent être loués, les fabricants ont tout intérêt à maximiser la durabilité des biens pour éviter de les remplacer. On peut donc déplorer l’absence de mesure visant à favoriser le développement de l’économie de la fonctionnalité, encore peu encadrée par les politiques publiques.
L’obsolescence logicielle négligée par la Feuille de route
Notons également l’absence totale de mesure ou même de mention de la durabilité logicielle. En effet, les logiciels voient eux aussi leur durée de vie intentionnellement réduite. Plusieurs stratégies visent à raccourcir la durée de vie d’un logiciel[8] : incompatibilité de format avec de nouveaux fichiers, durée limitée du support technique, etc. Ce phénomène touche particulièrement les systèmes d’exploitation comme Windows. Par exemple, certains navigateurs Web ne sont utilisables que par les versions les plus récentes du système d’exploitation, poussant l’utilisateur à en changer inutilement.
Ces enjeux sont croissants à l’heure où les appareils sont de plus en plus interconnectés, voire interdépendants pour certains. HOP demande ainsi la réversibilité des mises à jour (c’est-à-dire la possibilité de revenir à une version précédente, mieux supportée par un appareil par exemple), ainsi que la dissociation des mises à jour de confort et de sécurité pour limiter cette obsolescence.[9]
Cet oubli de l’obsolescence logicielle traduit un manque de vision de la part du Gouvernement, qui devra assurément prendre des mesures avant la fin du quinquennat sur ce point, au regard de la fulgurance des progrès technologiques et de l’intégration massive de logiciels dans les objets du quotidien.
Conclusion : la Feuille de route présente un fort potentiel qui reste à préciser et à réaliser
La Feuille de route contient de nombreuses mesures prometteuses pour poursuivre le développement de l’économie circulaire en France. Si ces mesures favorisent un allongement de la durée de vie des produits, elles manquent de précision sur les délais et les modalités de mise en oeuvre : L’impact de la Feuille de route dépendra donc largement des suites qui lui seront données. HOP suivra donc de très près l’application de la Feuille de route, pour s’assurer que les mesures annoncées soient traduites en actions concrètes et ambitieuses.
Par ailleurs, si les mesures visant à mieux informer et protéger les consommateurs sont bienvenues, la réparation demeure la grande oubliée de cette Feuille de route alors qu’elle est essentielle à l’allongement de la durée de vie des produits. HOP continuera donc à porter ses propositions pour tirer vers le haut l’ambition du Gouvernement afin d’obtenir des produits plus durables et réparables.
A la suite de la publication de la Feuille de route économie circulaire, les mesures suivantes nous semblent prioritaires : elles portent sur l’information des consommateurs, l’application de la garantie légale, l’éco-conception et la réparation.
Il est à noter que les mesures présentées par le Gouvernement dans cette Feuille de route visent avant tout à responsabiliser les consommateurs. Ceux-ci disposent certes d’un pouvoir important : celui de faire un choix éclairé s’ils disposent des informations nécessaires. Il ne faut toutefois pas négliger la responsabilité des fabricants et des vendeurs dans le phénomène d’obsolescence accélérée des produits. Il appartient donc au Gouvernement d’inciter ou de contraindre ces entreprises à produire plus durable et réparable grâce à l’éco-conception, à la mise à disposition des pièces détachées ou encore aux garanties. Néanmoins, force est de constater que l’ambition des pouvoirs publics se limite à la sensibilisation des citoyens, sans agir de manière courageuse à l’endroit des entreprises.
Plus largement, on peut regretter l’absence de mesures visant à encadrer la publicité, car c’est oublier que l’obsolescence est également esthétique. Le désir de changement des consommateurs est loin d’être leur seule responsabilité : il est largement attisé par une publicité abondante et un marketing agressif, qui conditionne les citoyens à leur rôle de consommateurs dès le plus jeune âge.
C’est seulement en faisant le pari d’une sobriété et d’une simplicité volontaire que nous construirons une économie circulaire respectueuse des limites de la planète. Or ces concepts demeurent tabous dans cette Feuille de route. Elle s’inscrit dans une logique de croissance verte au service des entreprises dont les intérêts priment, comme en atteste le vote récent de la loi sur le secret des affaires[10], qui va jusqu’à menacer la liberté d’informer pour mieux protéger les entreprises.