À quand une condamnation pour obsolescence programmée ? 
Cela fait 10 ans que le délit d’obsolescence programmée est inscrit dans la loi. Une première mondiale. HOP fait le point sur la portée du délit, grâce à l’éclairage des intervenant·es au colloque du Sénat du 6 juin dernier sur les 10 ans de cette loi. 

Le délit d’obsolescence inappliqué a été au centre des échanges lors du colloque HOP au Sénat le 6 juin. Délit inutile ou avancée symbolique ? Peut-on s’attendre à ce que les trois plaintes de HOP contre Epson, Apple et HP finissent par aboutir ? Quand verra-t-on une condamnation pour obsolescence programmée ?

Pour rappel, l’obsolescence programmée est reconnue comme un délit depuis 2015, défini dans l’article L.441-2 du Code de la consommation comme “le recours à des techniques, y compris logicielles, par lesquelles le responsable de la mise sur le marché d’un produit vise à en réduire délibérément la durée de vie”.

Le délit est passible de 300 000 euros d’amende et de deux ans d’emprisonnement, mais n’a pas encore été appliqué. 

Un délit aux nombreuses facettes

De nombreuses formes d’obsolescence programmée coexistent : 

  • L’obsolescence technique : liée à l’irréparabilité ou l’inamovibilité d’un composant essentiel du produit. Charlotte Souleau, Directrice Générale France de Back Market a ainsi évoqué : les conceptions rendant la réparation impossible, les prix exorbitants des pièces détachées, la limitation de la réparation hors réparateurs agréés par la marque, etc.
  • L’obsolescence logicielle : liée au support logiciel pour les produits concernés. Lise Breteau, avocate pour GreenIT souligne l’importance cruciale des mises à jour, et l’absence de réglementations suffisantes en la matière. Ainsi, 240 millions d’ordinateurs pourraient être mis au rebut du fait de la fin des mises à jour gratuites de Windows 10.
  • L’obsolescence marketing : liée aux méthodes marketing poussant au renouvellement de produits. Charlotte Souleau rappelle le rôle de l’illusion du progrès et du développement de la “Fast Tech”, poussant les consommateur·ices à croire à des améliorations révolutionnaires entre différentes générations d’un même produit.

Pourquoi nos plaintes n’ont pas encore abouti ?

L’association HOP a déjà déposé 4 plaintes pour obsolescence programmée : en 2017 contre Epson et Apple, en 2022 contre Apple et en 2024 contre HP. À ce jour, seule la plainte de 2017 contre Apple a débouché sur une sanction, mais pour “pratiques commerciales déloyales” et non “obsolescence programmée”. Pourtant, le délit a été simplifié en 2021 par la loi REEN. Cependant, le délit conserve un critère d’intentionnalité, qui réside dans cet extrait : “vise à en réduire délibérément la durée de vie”. Selon Ambroise Pascal, délégué à la transition écologique à la DGCCRF (Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) et intervenant au colloque organisé au Sénat, même simplifiée, cette intentionnalité reste très complexe à prouver. Il faut par exemple pouvoir définir la “durée de vie normale du produit”, alors qu’une grande partie des produits concernés sont conçus et fabriqués hors de France. Il affirme que, si ce délit est très pris au sérieux par les autorités de sanction, la technicité du sujet rend les enquêtes nécessaires particulièrement longues. 

Par ailleurs, Ambroise Pascal évoque les “pratiques commerciales trompeuses” comme un outil juridique polyvalent, élargissant le faisceau de preuves recevables (par exemple, une omission d’informations aux consommateur·ices). Ainsi, cet angle a été privilégié pour l’amende de 25 millions d’euros contre Apple en 2022.

Une portée plus que symbolique ?

Depuis 2015, malgré l’absence de condamnations, le terme “obsolescence programmée” s’est imposé dans l’espace public. Mobilisateur, il permet la conscientisation par les consommateur·ices des efforts de l’industrie pour pousser artificiellement au renouvellement des produits. Selon la sociologue et autrice Julie Madon, il s’est mué en “ressource discursive” pour les citoyen·nes sensibilisés, qui peuvent mobiliser le terme pour légitimer leurs combats, leurs pratiques de réparation, etc. Pour la sociologue, l’évolution des discours publics infuse dans les perceptions des consommateur·ices et participe à faire évoluer les normes sociales.

Par ailleurs, selon Ambroise Pascal, ce délit a eu un impact sur la construction juridique en Europe. L’avocate Lise Breteau le confirme : l’adoption du délit d’obsolescence programmée a permis de rendre visible et identifiable le phénomène, favorisant sa réglementation en amont. Ce délit a ainsi contribué à mettre à l’agenda politique les questions de durabilité et d’écoconception, aboutissant à l’adoption de dispositions ambitieuses en la matière, qui cherchent à prévenir les pratiques. Au niveau français, ce sont par exemple les indices de réparabilité et de durabilité ou le bonus réparation. Au niveau européen, la directive Right to Repair, ou le Règlement sur l’écoconception pour des produits durables (ESPR).

Faut-il abandonner l’idée de faire appliquer le délit ?

Après le constat de la difficile application du délit d’obsolescence programmée, et malgré l’importance du travail fourni pour documenter nos plaintes très complètes, les industriels restent impunis.

Face à ce déni de démocratie, nous appelons le parquet à considérer les plaintes déposées avec la plus grande attention.

HOP demande l’extension de l’article 142-2 du Code de l’environnement, afin que les associations agréées de protection de l’environnement puissent se constituer partie civile pour des infractions liées au délit d’obsolescence programmée et de pratiques commerciales trompeuses.

Le sénateur écologiste Jacques Fernique, intervenant au colloque de HOP, soutient cette demande, et évoque d’autres pistes pour mieux endiguer l’obsolescence programmée : inversion de la charge de la preuve du délit, amélioration des systèmes de REP (Responsabilité Elargie du Producteur) en y intégrant notamment des critères forts d’éco-modulation, le pilotage harmonisé des éco-organismes et des campagnes de communication massive autour du bonus.

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