Alors même que les pratiques d’obsolescence programmée sont reconnues comme néfastes depuis des décennies, la volonté des pouvoirs publics de lutter contre elles n’est venue que très récemment et s’est immédiatement heurtée aux lobbies concernés et à l’inadéquation des dispositions légales et règlementaires existantes[fusion_builder_container hundred_percent= »yes » overflow= »visible »][fusion_builder_row][fusion_builder_column type= »1_1″ background_position= »left top » background_color= » » border_size= » » border_color= » » border_style= »solid » spacing= »yes » background_image= » » background_repeat= »no-repeat » padding= » » margin_top= »0px » margin_bottom= »0px » class= » » id= » » animation_type= » » animation_speed= »0.3″ animation_direction= »left » hide_on_mobile= »no » center_content= »no » min_height= »none »][1]. Il est donc apparu la nécessité de légiférer sur la question de l’obsolescence programmée[2].

Après une première proposition législative en 2013 à l’initiative du sénateur écologiste Jean-Vincent Placé[3], les groupes parlementaires Europe Ecologie – Les Verts se sont à nouveau saisis de la question lors de la loi Consommation de Benoît Hamon du 17 mars 2014 (sans grand succès), puis ont réussi à faire introduire et voter, le 22 juillet 2015 dans le cadre de la loi sur la transition énergétique, le délit d’obsolescence programmée défini et réprimé par un nouvel article L.213-4-1 du Code de la consommation qui dispose que :

  1. L’obsolescence programmée se définit par l’ensemble des techniques par lesquelles un metteur sur le marché vise à réduire délibérément la durée de vie d’un produit pour en augmenter le taux de remplacement.
  2. L’obsolescence programmée est punie d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende.
  3. Le montant de l’amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement, à 5% du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits.

Loin de la caricature qui a pu en être donnée lors des débats parlementaires par certains membres de l’opposition et des lobbies industriels sur le mode : « on va pouvoir porter plainte pour une ampoule grillée », le délit d’obsolescence programmée pose au contraire des conditions d’application précises qu’il convient ici d’analyser afin d’en mesurer pleinement son effectivité.

 

La définition légale du délit d’obsolescence programmée : une incrimination large

Le délit d’obsolescence programmée est défini de façon brève et dans des termes généraux permettant de recouvrir des situations nombreuses et variées. Lors des débats parlementaires, le terme de « stratagème » a été écarté car jugé trop réducteur. L’expression « l’ensemble des techniques », qui lui a été préférée, englobe les pratiques à la fois techniques et commerciales et permet donc d’incriminer les diverses formes d’obsolescence programmée : fonctionnelle, indirecte ou psychologique. C’est une bonne chose.

De plus, l’article vise « le metteur sur le marché » qui par référence aux articles du Code de l’environnement peut être défini comme le fabricant ou l’importateur professionnel de produits destinés à être cédés à titre onéreux ou gratuit au consommateur. Dans le cas où ces produits sont vendus sous la marque d’un revendeur, celui-ci est considéré comme metteur sur le marché. Ici encore, le législateur a opté pour une définition élargie afin de pouvoir appréhender et réprimer des situations diverses et multiples.

En outre, en incriminant les techniques qui « visent à réduire délibérément la durée de vie », le législateur a fait du délit d’obsolescence une infraction dite formelle, c’est-à-dire que la sanction pénale est indépendante du résultat concret des faits incriminés. Peu importe donc que les techniques aboutissent effectivement ou non à réduire la durée de vie du produit. Leur seule mise en œuvre constitue l’infraction (alors même que le produit ne deviendrait pas obsolète ou ne le serait pas encore). Pour bien comprendre cette subtilité, il peut être utile de se rappeler à titre d’exemple l’infraction de corruption active (art. L. 433-1 du Code pénal) qui consiste dans la proposition de dons, offres, avantages (etc.) à un fonctionnaire pour obtenir tel ou tel avantage ou action, et ce, peu important si le fonctionnaire se laisse ou non corrompre. La seule proposition est une infraction en soi pénalement répréhensible. Ainsi en est-il du délit d’obsolescence programmée : la seule mise en œuvre des techniques visant à réduire la durée de vie des produits est une infraction en tant que telle. Dès lors, on peut légitimement imaginer qu’un fabricant pourrait être condamné à ce titre pour avoir mis sur le marché des produits avec une durée de vie délibérément réduite et que cette condamnation pourrait être prononcée avant même que cette durée de vie soit expirée et que les produits soient effectivement devenus obsolètes.

Enfin, l’article pose la condition que ces techniques soient mises en œuvre pour réduire « délibérément » la durée de vie des produits « pour en augmenter le taux de remplacement ». Le délit d’obsolescence programmée nécessite donc que soient caractérisés non seulement l’intention délictuelle (réduction délibérée de la durée de vie du produit) mais aussi le mobile ou résultat plus lointain espéré : « augmenter le taux de remplacement » – c’est-à-dire en réalité augmenter les ventes –. Le juge pénal ne pouvant sonder les esprits pour connaître les motivations des mis en cause, cet aspect pourrait de prime abord sembler poser des difficultés en terme de preuve (cf. infra). Cependant, il est fort probable que, dans la pratique, les juridictions répressives estiment, comme elles l’ont déjà fait pour d’autres infractions[4], que le mobile puisse être valablement déduit de la seule réduction délibérée par le metteur sur le marché de la durée de vie de ses produits, augmentant ainsi légitimement l’effectivité souhaitée de la répression. En effet, existerait-il une raison autre que l’augmentation des ventes susceptible de justifier une telle démarche ?

 

La sanction pénale du délit d’obsolescence programmée : une répression lourde mais incomplète

L’article L. 213-4-1 du Code de la consommation prévoit que le délit d’obsolescence programmée est puni d’une peine d’emprisonnement de deux ans et d’une amende dont le montant maximum peut être de 300 000 €. Par ailleurs, les juridictions répressives pourront porter le montant de l’amende à 5% du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits.

Il faut souligner que le législateur n’a pas jugé bon de modifier l’article L. 213-6 du Code de la consommation qui précise que les personnes morales qui commettent les délits relatifs au droit de la consommation (la tromperie et la falsification) encourent une amende dont le montant maximal est multiplié par cinq, afin d’appliquer expressément ces dispositions au délit d’obsolescence programmée. On peut s’interroger sur les raisons de cette omission. Toutefois, cette omission est fort heureusement rattrapée par l’article 131-8 du Code pénal qui s’applique lui à l’ensemble du droit pénal, et qui pose également ce principe du quintuple de l’amende encourue par les personnes morales. Dès lors, sur le fondement du Code pénal et même en l’absence de dispositions spécifiques dans le Code de la consommation, la peine encourue par les personnes morales pour le délit d’obsolescence programmée est donc du quintuple de l’amende encourue. Cependant, il reste à préciser si le quintuple s’applique à l’amende de 300 000 € qui passerait alors à 1 500 000 € ou s’il s’applique au montant de 5% du chiffre d’affaires, soit 25% au total. Il serait toutefois souhaitable, pour éviter des débats inutiles devant le juge pénal, que le législateur modifie par la suite l’article L. 213-6 du Code de la consommation afin d’apporter cette précision.

Il peut également être relevé que l’article L. 213-4-1 du Code de la consommation ne prévoit pas, à ce stade, de peine complémentaire (comme, par exemple, l’interdiction d’exercer une fonction publique ou de gérer une entreprise ou une société, etc.). Cette omission apparait franchement curieuse puisque de telles peines ont été prévues pour réprimer le délit pourtant proche de tromperie (L. 213-1 du Code de la consommation) modifié par la loi Hamon du 17 mars 2014 (art. L. 213-6 du Code de la consommation qui renvoie à l’article 131-39 du Code pénal). A nouveau, on peut s’attendre à ce que le législateur vienne compléter ce point par la suite.

 

La mise en œuvre du délit d’obsolescence programmée : des éclaircissements à apporter par la pratique

Lors des débats parlementaires, les contempteurs de ce nouveau délit ont invoqué les difficultés de mise en œuvre de la répression, en particulier au regard de l’administration de la preuve. Les arguments avancés, pour ce qu’ils ont de légitime, peuvent cependant être écartés dans la mesure où la pratique permettra d’y répondre, notamment en se fondant sur la jurisprudence pénale existante.

Ainsi, la question de la preuve des techniques utilisées pour réduire la durée de vie des produits (notamment en cas d’obsolescence fonctionnelle) a-t-elle été vivement soulevée. En effet, il apparait difficile d’établir devant une juridiction pénale (légitimement peu avertie des caractéristiques techniques de tel ou tel composant, ou de tel ou tel processus de fabrication industrielle) la réalité de l’obsolescence programmée. Le recours à des experts spécialisés semble alors indispensable, mais comme c’est déjà très souvent le cas dans les enquêtes et les procès relatifs aux autres délits parfois plus complexes de la vie des affaires tels que les délits boursiers ou le blanchiment.

La comparaison entre la technicité, la durée et le coût de telles investigations d’une part, et l’enjeu économique relativement faible pour le consommateur individuel, d’autre part, met en évidence le rôle essentiel des associations de protection des consommateurs et des institutions de contrôle telle la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF), qui est munie de véritables pouvoirs d’investigation et d’un personnel compétent, pour la révélation et la dénonciation de ce délit et par voie de conséquence sa répression effective.

Ainsi, les consommateurs s’estimant victime d’obsolescence programmée auront-ils tout intérêt à dénoncer les faits auprès d’associations spécialisés ou auprès des services de la DGCCRF qui pourront procéder à des investigations et saisir, le cas échéant, le procureur de la République des faits délictuels découverts pour que des poursuites pénales soient engagées.

En outre, comme pour les infractions dites occultes et internes aux entreprises (telles que l’abus de biens sociaux, par exemple), il est possible que d’anciens salariés ou collaborateurs jouent le rôle indispensable de « lanceurs d’alerte » et permettent ainsi la mise en œuvre de l’action publique sur le fondement d’informations internes aux entreprises délinquantes (échanges de mails, etc.).

Par ailleurs, la question de la prescription de l’action publique (délai de 3 ans s’agissant d’un délit) ne manquera sans doute pas de se poser. En effet, nul doute que les industriels feront valoir que le point de départ de la prescription est la mise sur le marché du produit et l’usage des techniques incriminées. En effet, si l’obsolescence effective du produit n’est pas un élément constitutif de l’infraction, elle constitue néanmoins un élément révélateur du délit. Or, le produit pourrait devenir obsolète plus de trois ans après le point de départ de la prescription, révélant ainsi trop tard l’infraction. L’action publique serait alors prescrite et aucune condamnation pénale ne pourrait plus être prononcée.

Cependant et heureusement, il est fort probable que le juge estime qu’il s’agisse d’une infraction occulte, c’est-à-dire n’étant pas révélée immédiatement lors de sa commission (comme l’abus de biens sociaux par exemple) et qu’en conséquence, le délai de prescription ne commence à courir qu’à partir du moment où l’infraction a pu être révélée (donc en pratique lorsque le produit est devenu obsolète prématurément). Le juge pourrait, d’autre part, estimer que les techniques d’obsolescence programmée sont mises en œuvre de façon continue ce qui entraine la commission continue de l’infraction et reporte le point de départ de la prescription au moment où les pratiques cessent, comme cela est pratiqué pour d’autres infractions.

Que la jurisprudence opte pour l’une ou l’autre de ces hypothèses, il apparait clairement que le délit d’obsolescence programmée pourra bénéficier d’un report du délai de prescription permettant ainsi l’efficacité de son incrimination et de sa répression. A défaut, le législateur devra prendre ses responsabilités et préciser les règles de prescription pour ce délit.

En conclusion, s’il est indéniable que des questions subsistent suite à la création du délit d’obsolescence programmée et que des réponses et des précisions devront être nécessairement apportées par la suite, par la jurisprudence ou par voie d’amendements législatifs, à l’instar de ce qui s’est souvent fait pour d’autres infractions, il faut se féliciter grandement du premier pas ferme accompli par le législateur. L’outil existe. Il faut désormais que les pouvoirs publics, les citoyens vigilants et les associations s’en emparent afin de combattre ces pratiques et tendre à instaurer une « consommation soutenable ».

 

Emile Meunier

Juriste, membre de l’association Halte à l’Obsolescence Programmée (HOP)
Ancien collaborateur parlementaire Europe Ecologie – Les Verts

 

[1] Notamment les protections de vices cachés, vice du consentement ou encore de garantie de conformité. Cahiers de droit de l’entreprise n° 4, Juillet 2013, dossier 29 Le contrôle de l’obsolescence programmée au regard des garanties de droit commun : une nécessaire réforme ? Dan Roskis et Sarah Jaffar avocats au barreau de Paris, Eversheds LLP
[2] Pour un état des lieux exhaustif, lire le blog de Thierry Libaert http://www.tlibaert.info/tag/obsolescence-programmee/
[3] Proposition de loi visant à lutter contre l’obsolescence programmée et à augmenter la durée de vie des produit – 18 mars 2013 (http://www.senat.fr/leg/ppl12-429.html)
[4] Ainsi, le juge déduit-il des violences exercées sur un témoin qu’elles ont été commises pour l’intimider et l’empêcher de dénoncer les faits, mobile exigé pour la constitution de l’infraction de violences aggravées sur témoin (article 222-12 5° du Code pénal)
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