Un texte de Samuel Sauvage, co-fondateur de HOP

Le 14 juillet 2022, la fête nationale française s’est muée en petite fête européenne de la durabilité des produits. Le Comité Economique et Social européen (CESE) a adopté un avis prometteur sur le sujet « Consommateurs et Transition verte », sur la base de propositions de la Commission Européenne. En tant qu’expert missionné par le CESE sur le sujet aux côtés du rapporteur Thierry Libaert (membre du Comité des experts de HOP), je reviens ici sur les perspectives ouvertes par ces travaux.

Ce que propose la Commission Européenne : des intentions louables…

La Commission propose de réviser deux directives majeures relatives à l’information du consommateur sur la transition écologique : la directive 2005/29/CE sur les pratiques commerciales déloyales et la directive 2011/83/UE relative aux droits des consommateurs. Cette révision vise à contribuer à une économie européenne circulaire, propre et verte, en permettant aux consommateurs de prendre des décisions d’achats plus favorables à la transition écologique.

Cette initiative est nourrie d’intentions louables et de propositions qui vont dans le bon sens, comme l’information systématique du consommateur sur la disponibilité des pièces détachées, les mises à jour logicielles prévues ou les manuels de réparation. La Commission ajoute également diverses pratiques commerciales trompeuses telles que l’incitation à renouveler les consommables prématurément (le cas des cartouches d’encre) ou l’absence d’information sur des pratiques d’obsolescence programmée (nous y reviendrons).

Un couple qui relit des factures et autres documents.

La Commission Européenne veut améliorer l’information des consommateurs pour leur permettre d’acheter plus durable (©Mikhail Nilov)

En outre, la Commission s’attaque aux allégations environnementales, souvent trompeuses pour le consommateur, en exigeant que les communications environnementales soient certifiées ou objectivables. Ces propositions sont à mettre en parallèle d’autres chantiers en cours, tels que la mise en place future d’un « repair score » européen pour les smartphones et tablettes, comme le rappelle Laetitia Vasseur dans une tribune pour Alternatives Economiques.

Un paradigme qui reste trop libéral

Malgré l’intérêt de ces propositions, l’avis du CESE sur lequel nous avons travaillé signale des limites importantes à l’approche portée par la Commission. En cause : un logiciel de pensée encore trop libéral consistant à considérer l’information du consommateur comme la principale (la seule ?) arme contre les dysfonctionnements du marché. Or, s’il est évidemment nécessaire de mieux informer ou de moins désinformer le consommateur, comme le propose HOP à travers la mise en place d’un indice de durabilité (voir notre Livre blanc), les pouvoirs publics doivent également interdire certaines pratiques en tant que telles, comme l’a fait la France à travers le délit d’obsolescence programmée.

Thierry Libaert est Conseiller au Comité Economique et Social Européen. Il est le rapporteur de l’avis « Consommateurs et Transition verte ».

C’est là où la Commission devrait aller au bout de ses intentions. Parmi les nouvelles pratiques commerciales trompeuses, on trouve trois cas qui devraient aller au-delà de la pénalisation de l’absence d’information : quand un fabricant introduit une technique susceptible de limiter la durée de vie du produit, faut-il seulement qu’il en informe le consommateur, ou ce produit doit-il être banni du marché unique ? De même, quand un produit se trouve être volontairement irréparable ? Et enfin, pour une mise à jour logicielle qui peut raccourcir la durée de vie du produit ?

En se mettant volontairement en retrait du délit français d’obsolescence programmée et en raison de la primauté du droit communautaire, la Commission pourrait – involontairement – fragiliser les procédures en cours et à venir sur la base de ce délit.

Ce décalage révèle un débat de fond dans la législation environnementale en progression. Soit on considère qu’en résorbant les asymétries d’information et en faisant reposer sur le consommateur la responsabilité de ses actes de consommation, le marché pourra se réguler et contribuer à un développement soutenable… soit on considère que l’heure est trop grave sur le plan écologique, que les consommateurs ne seront jamais des êtres complètement rationnels, omniscients et mus par l’intérêt général, et qu’il faut donc prendre de véritables responsabilités de régulateur. Pour HOP, ne jouer que sur l’information, c’est ne pas être à la hauteur des enjeux, comme l’a rappelé récemment Sophie Dubuisson Quellier dans un excellent podcast dédié aux petits gestes.

Bâtiment du Comité économique et social européen

Le siège du Comité Economique et Social Européen à Bruxelles (©Andrijko Z. / Photo non modifiée / Licence : CC BY-SA 4.0)

Un consensus européen prometteur

L’avis du CESE a bien pointé ces insuffisances et demandant des interdictions claires des pratiques d’obsolescence programmée. Pour la première fois, un lien est opéré entre greenwashing et lutte contre l’obsolescence programmée. L’avis s’est prononcé pour la mise en place d’un véritable indice européen de durabilité des produits. Il a demandé une régulation plus forte de la publicité, en interdisant toute publicité allant à l’encontre des objectifs du développement durable. Lorsqu’un produit est sous garantie, il a acté un principe de primauté de la réparation sur le remplacement des produits. Il a demandé une meilleure protection des lanceurs d’alerte…

Et, en ce 14 juillet 2022, cet avis a été adopté par 209 voix pour, 0 voix contre, 1 abstention.

Représentants d’entreprises, de syndicats, de la société civile, des 27 pays européens, se sont retrouvés sur ces constats et sur ces demandes ambitieuses.

Maintenant, la Commission dispose de trois mois pour apporter ses réponses argumentées sur tous ces sujets. Va-t-elle revoir sa copie pour donner plus d’ampleur à ses ambitions ? En tout cas, nous avons tout fait pour.

Samuel Sauvage
Cofondateur de HOP

 

Crédits photo : Antoine Schibler

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