
Laetitia Vasseur
Co-fondatrice et Déléguée Générale de HOP / Experte de l’économie circulaire
L’obsolescence programmée peut prendre diverses formes, dont principalement :
Après une première proposition législative infructueuse en 2013, le délit d’obsolescence programmée a été introduit dans la loi de transition énergétique en 2015. L’obsolescence programmée est désormais définie et réprimée par les articles L441-2 et L454-6 du Code de la consommation. La loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique, promulguée en novembre 2021, est venue rendre plus facilement applicable le délit en supprimant une partie de la définition (“pour en augmenter le taux de remplacement”), qui le complexifiait inutilement. La définition actuelle est donc :
L’obsolescence programmée se définit par l’ensemble des techniques, y compris logicielles, par lesquelles le metteur sur le marché d’un produit vise à en réduire délibérément la durée de vie.
Ce délit est puni d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende. Le montant de l’amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement, à 5% du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits.
La loi de transition énergétique pour la croissance verte a pour objectif d’améliorer la conception des produits en sanctionnant l’obsolescence programmée. Pour en savoir plus, consultez la page dédiée du site du Ministère de la Transition écologique.
La pénalisation de l’obsolescence programmée offre une réelle opportunité pour faire valoir les droits des consommateurs et protéger l’environnement face à ces pratiques abusives. Le délit permet de sanctionner une pratique qui autrefois pouvait être qualifiée de stratégie commerciale. À noter que depuis la loi Hamon, si un consommateur isolé n’a pas les moyens d’engager une procédure et de collecter les preuves nécessaires, une association de consommateurs agréée peut le faire pour lui. C’est pourquoi nous voulons déférer une large communauté de consommateurs et collecter les données sur les cas d’obsolescence programmée pour, à terme, mener des actions de groupe en justice.
La répression de ce délit suppose d’apporter la preuve de l’intention “délibérée” de réduire la durée de vie du produit “pour en augmenter le taux de remplacement”. Si cela peut paraître difficile à prouver, cela dépend en réalité de l’interprétation qu’en feront les juges.
À la suite d’une plainte de HOP, Apple a accepté de verser une amende de 25 millions d’euros, selon un communiqué de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
Dans sa plainte datant de décembre 2017, l’association dénonçait les ralentissements et autres dysfonctionnements rencontrés par les iPhones 6, 6S, SE et 7 du fait de la mise à jour du système d’exploitation. Ces ralentissements, concomitants à la sortie des modèles 8 et X ont conduit de nombreux utilisateurs à remplacer leur appareil, occasionnant ainsi un impact environnemental lourd.
Après son enquête, la DGCCRF a conclu non pas à une pratique d’obsolescence programmée telle que définie par la loi mais à une “pratique commerciale trompeuse”, un autre délit plus commun du droit de la consommation.
Il n’y a donc pas à ce jour de condamnation sur le fondement du délit d’obsolescence programmée, mais une autre plainte d’HOP est en cours d’instruction à l’encontre d’Epson, fabricant d’imprimantes.
Au-delà du délit, d’autres mesures législatives permettent de réduire l’obsolescence programmée. Voici un état des lieux législatif sur l’obsolescence programmée :
Les mesures apportées par les lois Consommation de mars 2014 et Transition énergétique d’août 2015 :
Les mesures apportées par la loi économie circulaire du 11 février 2020 :
Malgré ces évolutions positives, des mesures complémentaires peuvent être utilement adoptées à l’échelle nationale et européenne pour modifier durablement notre mode de consommation et de production.
L’obsolescence programmée a été théorisée par Bernard London en 1932 pour dynamiser un modèle économique à bout de souffle, dans le contexte de la Grande Dépression. La croissance économique repose sur la stimulation de la production et de la consommation. Plus on consomme, plus les entreprises gagnent en commandes et investissent pour produire davantage, ce qui théoriquement accroît l’emploi et le chiffre d’affaires. La TVA repose également sur la consommation, ce qui pousse les pouvoirs publics à l’encourager fortement afin de financer les dépenses publiques. Notre modèle économique et social repose sur la surconsommation, celle-ci devant être sans cesse renouvelée. Pourtant, il est possible d’imaginer des modèles économiques alternatifs qui ne reposent pas sur la surproduction, comme le montrent certaines entreprises nouvelles ou en transition (location, réparation, reconditionnement, fabricants durables…).
Lutter contre l’obsolescence programmée implique un changement de modèle économique. Il s’agit de consommer et produire moins, mieux, plus local et écologique. Si la fin de l’obsolescence programmée entraînerait des mutations en termes d’emploi, elle créerait de nouvelles opportunités dans d’autres secteurs. La Commission européenne estime que le développement de l’économie circulaire pourrait générer 170 000 emplois supplémentaires d’ici 2030.
Grâce à l’économie circulaire, collaborative, sociale et solidaire, il est possible d’envisager de nouveaux types d’emplois dans la réparation, les services, le développement durable, l’agriculture de proximité et de nombreux autres secteurs. Il s’agit parallèlement d’engager une réflexion globale sur les modes de vie, l’échange de biens et services, le design, le travail et la simplicité volontaire.
Non, l’augmentation de la durée de vie des produits ne réduira pas le pouvoir d’achat des consommateurs, au contraire !
Actuellement les ménages modestes subissent une double peine : biens de mauvaise qualité et à renouveler souvent. Certains avancent l’argument que les biens bas de gamme permettent d’accéder plus facilement à la consommation, car ils sont moins chers. Or l’obsolescence programmée est antisociale : non seulement les produits de moins bonne qualité sont réservés au plus démunis, mais ces derniers doivent en racheter plus souvent et donc perdent en pouvoir d’achat sur le long terme.
Si l’obsolescence programmée est synonyme d’impacts économiques et sociaux majeurs, elle compromet aussi et surtout la préservation de l’environnement. Dans un contexte marqué par une urgence climatique et une raréfaction généralisée des ressources, l’obsolescence programmée implique une exploitation exponentielle des matières premières. Pour répondre à une demande créée artificiellement, on dégrade dramatiquement l’environnement : excavation de grandes quantités de terre, défrichage des sols, élimination de la végétation et destruction de terres fertiles dont nous avons bien besoin pour assurer la sécurité alimentaire.
La demande grandissante des ménages pour les équipements électriques et électroniques high-tech consommateurs de métaux rares et d’une grande quantité d’énergie pose également problème. Nos téléphones portables à eux seuls, peuvent contenir jusqu’à 12 métaux différents, représentant environ 25% du poids total des appareils. Ainsi, l’obsolescence programmée contribue à l’augmentation d’une empreinte écologique insoutenable.
L’augmentation croissante des déchets est également un enjeu crucial. Incinérés, enfouis ou jetés en mer, la pollution des déchets est dramatique tant pour la biodiversité que pour la santé humaine. Rappelons que 20 à 50 millions de tonnes de déchets électriques et électroménagers sont produits dans le monde chaque année et qu’environ la moitié alimente les économies informelles des pays du Sud. Avec entre 16 à 20 kg de déchets électriques et électroménagers jetés par personne et par an en France, le problème environnemental de l’obsolescence programmée est de plus en plus préoccupant.
Nombreux sont les consommateurs qui ont déjà fait l’expérience de l’obsolescence programmée. En plus de pénaliser le pouvoir d’achat des consommateurs, obligés de changer leurs appareils pour en racheter de nouveaux, l’obsolescence programmée engendre un sentiment de frustration et d’aliénation.
L’obsolescence programmée est aussi la cause indirecte de conditions de travail très difficiles pour les sous-traitants, notamment dans les pays dits « en voie de développement ». En effet, la réduction de la durée de vie des biens s’accompagne d’une réduction des coûts de production qui pèse sur les employés. La production de certains objets comme les téléphones suscite également une lutte pour les ressources qui alimente des violences sociales. Pour finir, l’obsolescence programmée promeut des comportements de consommation insoutenables et institutionnalise chaque jour un peu plus une culture du jetable…
Qu’elle soit esthétique, technologique, technique ou logicielle, l’obsolescence programmée regroupe l’ensemble des techniques visant à réduire délibérément la durée de vie ou d’utilisation d’un produit afin d’en augmenter le taux de remplacement. Elle est devenue l’outil de plus en plus répandu d’une société de consommation insoutenable. En plus de déposséder les individus de leurs droits à un usage durable des biens, ce système de production et de consommation s’appuie sur une extraction de matières premières, d’exploitation de terres et de ressources qui arrive à ses limites.
Conscients des enjeux de moyen et long terme au niveau climatique, environnemental, géopolitique, social et sanitaire, nous voulons réfléchir et agir pour concevoir le monde dans lequel nous voulons vivre. Face à l’absence d’action coordonnée contre l’obsolescence programmée, citoyen-ne-s, intellectuel-le-s, élu-e-s, fabricant-e-s, créatifs et tous ceux qui veulent mettre fin à l’obsolescence programmée s’unissent pour promouvoir une consommation responsable et un modèle économique global alternatif.
L’obsolescence programmée est le symbole d’un problème plus global: celui d’une société du gaspillage, basée sur un modèle linéaire productiviste et consumériste non soutenable. L’association se donne pour mission de contribuer à dessiner les bases d’un nouveau projet de société. L’association a donc pour but d’observer, proposer et débattre des solutions systémiques, notamment grâce aux soutiens d’experts, d’intellectuels, d’entrepreneurs, et toutes autres personnes qualifiées. Elle offre ainsi des clefs de compréhension et d’analyse de l’obsolescence programmée, dans une démarche constructive.
La remise en cause du modèle économique dominant, fondé sur une production et consommation de masse qui requiert nécessairement un fort taux de remplacement des produits, s’accompagne d’une promotion des modèles économiques durables à long terme. En particulier, les modèles économiques basés sur l’usage des produits (économie de la fonctionnalité), sur un modèle de réutilisation des ressources (économie circulaire) ou sur la collaboration des acteurs pour une production plus efficiente (économie collaborative) sont promus. Toutefois, nous resterons vigilants aux possibles conséquences écologiques et sociales des modèles alternatifs à l’obsolescence programmée. Une juste redistribution des richesses, l’égalité sociale, la démocratie, la préservation de l’environnement doivent être au cœur des nouvelles solutions.
L’obsolescence programmée technique et logicielle porte atteinte directement aux droits des consommateurs, victimes des produits conçus pour ne pas durer ou ne plus fonctionner normalement. Les informations concernant la réparabilité des produits, leurs durées de vie ou la garantie réelle du constructeur et du législateur sont souvent cachées à l’acheteur intentionnellement. Notre association vise à défendre le consommateur en lui offrant plus d’informations, en l’assistant dans sa démarche de consommation engagée en facilitant l’accès à des solutions concrètes, et en l’aidant à se défendre contre les tromperies, notamment par des actions en justice. Il s’agit de défendre le droit à l’usage de produits durables pour tous.
L’obsolescence programmée est le symbole de la société de consommation dans laquelle nous vivons. Celle-ci repose avant tout sur une construction sociale écologiquement non durable. Nous avons pour objectif de favoriser la réduction des besoins, la “sobriété heureuse” ou “simplicité volontaire”. Nous dénonçons la société de sur-consommation qui repose sur la stimulation de désirs artificiels, orchestrée par des stratégies publicitaires, industrielles et commerciales peu scrupuleuses. Il s’agit aussi de lutter contre l’obsolescence esthétique et de favoriser les prises de consciences citoyennes face aux choix et responsabilités d’acheteurs. L’action de l’association ne peut ainsi se contenter de proposer des palliatifs écologiques ou technologiques aux conséquences de l’obsolescence programmée mais vise un changement profond vis-à-vis de la culture consumériste.
Le système actuel repose sur la consommation, les clients jouent un rôle clef puisque les producteurs dépendent entièrement du comportement des acheteurs. Aussi le rôle, la responsabilité et le pouvoir des citoyens ne doit pas être sous-estimé. Loin d’être impuissants, ils détiennent un véritable pouvoir d’action si, plutôt que d’être divisés et isolés, ceux-ci s’organisent et coopèrent pour changer les règles du jeu. Nous aspirons à sensibiliser et agréger le plus grand nombre pour favoriser l’émergence de nouveaux modèles de production et de consommation, tout en travaillant à stopper en parallèle les pratiques industrielles et commerciales d’obsolescence programmée. De nombreuses initiatives existent déjà, permettant de vivre selon d’autres modèles. En facilitant l’émergence de forums et groupes locaux, nous visons à amplifier l’impact de ces mouvements citoyens d’échange, de réflexion et de mise en réseau.
Fournir des outils pour agir localement, c’est permettre un changement immédiat dans la vie des citoyens. La mise en relation des talents et compétences de proximité permet des actions concrètes et a des répercussions sur un espace partagé familier. De plus l’action locale retisse le lien social indispensable pour tout changement global.
Si les citoyens ont un rôle important à jouer, les fabricants et distributeurs qui favorisent l’obsolescence programmée doivent être dénoncés. Nous utiliserons et soutiendrons toutes les méthodes et outils pour mettre fin à ces pratiques malhonnêtes, notamment grâce aux médias et aux actions en justice. Il ne s’agit pas de diaboliser l’ensemble des entreprises qui peuvent aussi se sentir victimes des logiques économiques actuelles, mais de constater et agir en justice contre les abus. L’association Halte à l’Obsolescence Programmée considère le droit et la justice comme des leviers essentiels de l’accès à un mode de vie durable et de l’émergence du monde dans lequel nous voulons vivre.
De plus en plus de fabricants, entrepreneurs, ingénieurs et créatifs (notamment les designers, startup, fablab, etc.) produisent des solutions d’objets et de pratiques visant à s’affranchir de l’obsolescence programmée et investissent dans des solutions alternatives. Nous valorisons et encourageons les nouveaux modes de production durables et responsables. Notre association défend une idée du progrès, de l’innovation et de la technologie qui va dans le sens de progrès écologiques et sociaux réels.
Le combat contre l’obsolescence programmée est également mû par la reconnaissance des dégâts écologiques de ce modèle. La surconsommation et la surproduction engendrées par ces stratagèmes produit une sur-abondance de déchets et de pollutions, ainsi qu’un réchauffement global du climat, insoutenables pour l’environnement comme pour la santé humaine. L’obsolescence programmée est un enjeu de salubrité et de santé environnementale au niveau international. En lien avec les acteurs de l’environnement, notamment associatifs, notre action vise à sensibiliser et agir pour protéger l’environnement et la santé humaine.
L’observation, les propositions et l’expertise produites par l’association visent notamment à accompagner les décideurs publics, ce que nous encourageons par des activités de plaidoyer. Cet accompagnement peut aussi prendre la forme de formation et d’animation de groupes de travail, notamment à l’endroit des élus locaux, des acteurs publics ou des entreprises et entrepreneurs.
Proposer de réelles alternatives suppose une alliance des citoyens-consommateurs, des fabricants, des intellectuels et des politiques… Au sein de l’association, l’ensemble des acteurs sont mis sur un pied d’égalité et travaillent de façon collaborative.
L’association Halte à l’Obsolescence Programmée est guidée par les valeurs d’indépendance, de transparence, d’action collective et pour le bien commun, de non-violence et de persévérance. Elle s’interdit globalement tout engagement moral partisan, financier, religieux, syndical ou corporatiste.
L’association ne dépend d’aucun parti. Les enjeux qu’elle soulève se placent au-dessus des clivages politiciens. Si les décideurs politiques peuvent représenter des partenaires pour accomplir les objectifs fixés par l’association, cette dernière reste complètement indépendante dans ses prises de positions.