Halte à l’obsolescence programmée (HOP), représentée par Emile Meunier et Frédéric Bordage, a été auditionné dans le cadre de la mission d’information menée au Sénat sur l’inventaire et le devenir des matériaux et composants des téléphones mobiles.

La création de cette mission s’inscrit dans un contexte d’augmentation constante du nombre de téléphones mobiles, avec, en corollaire, leur obsolescence rapide, et des questions portant sur leur devenir. La mission s’intéressera à l’inventaire des composants des téléphones mobiles, à la chaîne de vie d’un téléphone mobile, à partir de sa fabrication, et à la gestion de la « fin de vie » des téléphones mobiles, en analysant par exemple les recherches sur la récupération des composants les plus précieux et aux gisements potentiels en termes d’emplois.

La réunion est ouverte à 14 heures.

M. Jean-François Longeot, président. – Mes chers collègues, nous poursuivons notre journée d’auditions en entendant l’association Halte à l’obsolescence programmée (HOP). Bienvenue donc à MM. Frédéric Bordage, spécialiste de l’économie circulaire, et Émile Meunier, expert en numérique et développement durable. Merci d’avoir répondu si rapidement à notre demande d’audition.

Je vous rappelle que notre mission d’information, créée à la demande du groupe écologiste, porte sur l’inventaire et le devenir des matériaux et composants des téléphones mobiles. Nous avons commencé nos travaux au tout début du mois de juillet et nous les achèverons à la fin du mois de septembre.

L’association HOP souhaite, comme l’indique son site internet, « lutter contre ces pratiques industrielles condamnant les citoyens à des modes de consommation surexploitant les ressources naturelles et polluant à l’excès et de promouvoir des modèles économiques alternatifs autour de la réutilisation, de la réparation et du recyclage des produits ».

Nous sommes particulièrement heureux de vous entendre aujourd’hui, les problématiques de l’obsolescence des téléphones mobiles et de l’écoconception ayant été évoquées par nombre de nos interlocuteurs.

Je vais donc vous laisser la parole, avant que Madame la rapporteure et les autres membres de la mission d’information vous interrogent.

M. Émile Meunier, expert en numérique et développement durable. – Merci Monsieur le président, nous sommes très heureux d’être auditionnés par votre mission. Nous aimerions apporter un son de cloche différent, en évoquant la réduction en amont des flux de déchets, pour atténuer les besoins de collecte et de recyclage. Les deux ne sont bien sûr pas incompatibles, et ces étapes en aval gagneraient également à être améliorées. Toutefois, le coût économique et environnemental du recyclage, qui par ailleurs ne fonctionne pas très bien pour les téléphones portables, nécessite d’agir en amont sur l’allongement de la durée de vie des smartphones, autrement dit de lutter contre leur obsolescence programmée.

Lorsque nous parlons de téléphones portables, nous pensons surtout aux smartphones, car il s’agit de l’essentiel du marché aujourd’hui. Ces téléphones sont en réalité de petits ordinateurs. L’obsolescence programmée pour les téléphones présente donc les mêmes enjeux que pour les ordinateurs ou les tablettes. Elle recouvre deux dimensions : l’obsolescence logicielle et l’obsolescence électronique ou hardware.

M. Frédéric Bordage, spécialiste de l’économie circulaire. – L’obsolescence programmée est un des principaux facteurs qui conduisent le consommateur à acheter un nouveau téléphone. Le plus souvent, on change de téléphone car il « rame », suite à des mises à jour de logiciels. Nous parlons parfois d’ « obésiciel ». L’obsolescence programmée a longtemps été centrée sur les composants, avec le soupçon d’un point de rupture introduit dans le produit, susceptible de casser. Aujourd’hui, l’obsolescence est davantage logicielle. Il faut lutter contre ce problème logiciel afin d’améliorer la durée de vie des produits, d’autant plus que l’appareil concerné reste généralement fonctionnel. Dans le secteur automobile, on peut utiliser une voiture pendant toute sa durée de vie sans changer le moteur. Pour les téléphones portables, les mises à jour imposent de changer leur « moteur ». Cette responsabilité incombe aux concepteurs de logiciels.

M. Émile Meunier. – Les mesures possibles pour lutter contre cette forme d’obsolescence programmée sont simples. Il faudrait garantir la réversibilité, c’est-à-dire permettre à l’utilisateur de revenir à une version antérieure du logiciel ou du système d’exploitation, si la nouvelle version ralentit le fonctionnement du téléphone. Ce n’est souvent pas possible, ou complexe à réaliser. Les ventes liées entre téléphones et logiciels pourraient également être interdites. Cela fonctionne aujourd’hui pour les ordinateurs de bureaux. De façon générale, le pouvoir de décision du consommateur doit être renforcé.

Mme Évelyne Didier. – Nous constatons ces contraintes au quotidien. Sur les différents appareils, des messages incessants sur la mise à jour du système d’exploitation harcèlent l’utilisateur, et s’il ne l’accepte pas, des problèmes de compatibilité apparaissent. Accepter les nouvelles versions conditionne l’utilisation des produits.

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. – Il nous a été indiqué que les logiciels pourraient être conçus pour être plus légers, afin de fonctionner sur des téléphones de conception également plus légère. Qu’en pensez-vous ?

M. Frédéric Bordage. – C’est un élément important de l’écoconception des logiciels. Les éditeurs sont capables aujourd’hui d’optimiser leurs logiciels, pour fonctionner sur des appareils qui pourraient être dix fois moins performants pour certains ! C’est un levier d’action très fort.

M. Émile Meunier. – Même sans contraindre les éditeurs, il faudrait a minima une information honnête du consommateur, en l’informant notamment des éventuels problèmes de compatibilité ou de performance avant l’installation des logiciels.

M. Jean-François Longeot, président. – En effet, sinon cela revient véritablement à exploiter le consommateur, en le privant d’information.

M. Émile Meunier. – Ce sujet est au croissement du droit de la consommation et de la protection de l’environnement, car surconsommer, c’est dégrader notre planète. Je précise qu’une autre forme d’obsolescence programmée existe : l’obsolescence marketing ou esthétique. À coup de publicités agressives, et de nouvelles fonctionnalités parfois peu utiles, les fabricants poussent à l’acte d’achat.

Concernant l’obsolescence électronique, il faut souligner que l’introduction d’un point de rupture peut exister, mais c’est l’exception plus que la règle. On peut toutefois s’interroger sur la fragilité de certains écrans par rapport à d’autres, à poids égal. Les fabricants justifient parfois ce choix par des arguments économiques, notamment pour réduire le prix de vente au consommateur. Pour identifier des stratégies délibérées, il faudrait des lanceurs d’alerte. La batterie est un autre élément d’obsolescence qui s’use rapidement. Sa qualité et sa durabilité relèvent clairement d’un choix du constructeur. Son inamovibilité est un sujet important, car la tendance est de rendre de plus en plus difficile son extraction. Les tutoriels mis en ligne sur des sites internet comme commentreparer.com montrent clairement une complexité croissante pour réparer soi-même son téléphone. Nous avons même récemment pris connaissance d’un projet visant à mouler en une fois un téléphone, ce qui créerait une dépendance totale à l’égard du fabricant.

L’écoconception est donc un enjeu central, avec trois aspects : améliorer la durée de vie en permettant de modifier le téléphone par des modules, permettre la maintenance et la réparation à un coût raisonnable, et faciliter le recyclage. Ces trois éléments devraient être pensés en amont. C’est très rarement le cas aujourd’hui, et nous constatons plutôt une dégradation. Avec la lutte contre l’obsolescence logicielle, c’est une bataille importante, qui n’a que des avantages, aussi bien en termes de protection de l’environnement que de création d’emplois.

Afin de progresser, nous pensons qu’il faudrait augmenter massivement l’éco-contribution. Un centime d’euros par téléphone est une somme dérisoire. Pour 25 millions de téléphones vendus par an, cela représente 250 000 euros. Et le doublement de cette contribution en cas de non-respect des critères environnementaux n’a aucun effet dissuasif.

M. Frédéric Bordage. – Il faudrait également allonger la durée de garantie, pour permettre au consommateur de bien consommer, car c’est sa responsabilité. La garantie est une forme de contrat entre le fabricant et le consommateur. L’augmentation de sa durée créerait un cercle vertueux, en incitant les fabricants à améliorer la conception de leur produit, et à privilégier une logique de réparation plutôt que de remplacement. Aujourd’hui, c’est comme si on jetait la voiture parce que la roue est crevée.

Mme Annick Billon. – Si le service après-vente est facile à identifier pour les gros appareils électroménagers, il est moins accessible pour les téléphones portables. Les utilisateurs ont tendance à changer intégralement de téléphone, alors même que seule une pièce ne fonctionne plus.

M. Frédéric Bordage. – Il faut noter que toute une filière de réparation et de réemploi s’est développée, et elle ne cesse de croître. Toutefois, les fabricants laissent de gros grains de sable pour ces activités.

Mme Évelyne Didier. – Lorsque notre voiture tombe en panne, il est possible d’en avoir une de rechange. Pourquoi ne pas mettre cela en place pour les téléphones portables ?

M. Émile Meunier. – Cela existe, mais l’information du consommateur est peut-être insuffisante. Plusieurs marchés se sont développés, sur les pièces détachés, sur la réparation, sur les produits de seconde main. Les réparateurs gagneraient à s’organiser, notamment en généralisant des systèmes de prêt pendant la réparation, car cela les rendrait plus attractifs auprès des consommateurs. Ce marché est surtout constitué de startups, qui n’ont pas encore acquis toute la visibilité nécessaire auprès du consommateur. Les pouvoirs publics pourraient les mettre davantage en avant.

M. Frédéric Bordage. – Concernant le prêt de téléphone, il y a l’enjeu du transfert des données, dès lors que certaines sont stockées sur le téléphone portable, à l’instar des ordinateurs.

Mme Catherine Procaccia. – Certaines boutiques procèdent au transfert des données et prêtent un téléphone. Concernant la durée de garantie, varie-t-elle selon les pays pour un même appareil ?

M. Frédéric Bordage. – Au sein des DEEE, elle varie effectivement entre les pays. Cela serait à approfondir pour les téléphones portables. Il faut souligner les effets structurants de la durée de garantie pour l’ensemble du secteur. Permettez-moi également de souligner que certains fabricants poursuivent délibérément des stratégies de non standardisation, comme Apple avec ses connecteurs et chargeurs. Je poursuis par ailleurs l’analogie avec les automobiles : nous parvenons à réduire la consommation des moteurs, pourquoi ne pas progresser sur celle des ordinateurs ?

M. Émile Meunier. – Il faut s’interroger sur celui qui assume le coût de la garantie. C’est très généralement le consommateur. Mais il nous semble que passer de deux à trois ans serait raisonnable, en assurant bien sûr la réparabilité des téléphones pendant toute cette période. Il ne s’agit pas de remplacer le téléphone en panne par un téléphone neuf !

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. – Nous avons été informés que des lots de téléphones portables, mêlant des appareils usagés et de véritables déchets, seraient vendus en vrac à des brokers, se nourrissant d’un gisement récupéré auprès des opérateurs. Cette activité conduirait à des abus concernant la réglementation des déchets.

M. Frédéric Bordage. – Il y a un vrai problème de traçabilité. Interpol s’est intéressée à la filière des DEEE, et a estimé que 70% de ces déchets font l’objet d’un trafic illégal. Cela donne une idée de l’ampleur de ce problème.

M. Émile Meunier. – Tant mieux s’il y a des activités de réemploi de téléphones en Afrique. Mais cela devient problématique si les déchets issus de ce réemploi ne sont pas traités correctement. Il faut privilégier le traitement en France, mais le développement de filières de recyclage à l’étranger devrait être encouragé. Des éco-organismes existent en France depuis 1992, la diffusion de cette expertise constituerait une belle politique de développement. Elle pourrait s’appuyer sur des entreprises comme Orange, qui possède un réseau significatif en Afrique.

M. Jean-François Longeot, président. – Selon vous, il faut donc privilégier des actions en amont de la collecte.

M. Frédéric Bordage. – La collecte est également un enjeu important, et il faut assurer sa qualité. Aujourd’hui, on constate de nombreux vols et pertes lors de la collecte. Par ailleurs, les fabricants et distributeurs n’assurent pas suffisamment les activités de reprise, comme le montrent plusieurs études, comme celle de CLCV. Certaines grandes chaînes de distribution n’appliquent pas la loi. Le taux de collecte est loin d’être satisfaisant.

Mme Évelyne Didier. – Disposez-vous de points de comparaison avec l’étranger ?

M. Émile Meunier. – Nous n’avons pas d’éléments à ce sujet. Toutefois, plusieurs projets intéressants se développent en Europe, comme le projet de téléphones modulables Ara de Google, ou le Fairphone, qui vise à améliorer la traçabilité des matériaux utilisés et s’appuie sur l’écoconception.

Il y a bien sûr des scandales en matière d’approvisionnement, comme sur le tantale ou le lithium. En matière de démontage, si les prescriptions de la directive sur les DEEE sont respectées, il n’y a pas de risques. Mais si les déchets sont exportés vers des pays comme le Ghana, le Nigeria, la Chine ou l’Inde, alors il y a de vraies difficultés.

Il faut noter que de nombreux pays nous envient nos directives européennes sur ce sujet. Les États-Unis sont quant à eux en pointe sur la lutte contre les minerais de conflit, avec notamment le Conflict Minerals Ac

Les technologies industriellement viables pour récupérer les matériaux rares utilisés dans les téléphones portables, par ailleurs en faible quantité, sont aujourd’hui peu développées. Il faut donc agir sur la conception, tout en progressant sur l’exploitation de ces mines urbaines.

M. Jean-François Longeot, président. – Merci beaucoup pour toutes ces informations.

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