Un article rédigé par Samuel Sauvage, co-fondateur de HOP

En mars 2023, l’ADEME et l’ARCEP ont remis un rapport très attendu sur l’impact environnemental du numérique. Cette étude éclaire les priorités nécessaires pour faire advenir un numérique réellement responsable : c’est au nombre d’équipements et à leur durée de vie qu’il convient de s’attaquer en priorité. Soit exactement la mission de HOP.

Le rapport « Evaluation de l’impact environnemental du numérique en France et analyse prospective » a été remis récemment dans un silence relativement éloquent. Au rayon des constats, ceux sur l’impact actuel du numérique n’ont rien de nouveau : le numérique représenterait autour de 2,5% de l’empreinte carbone nationale, et cet impact est principalement lié aux terminaux. C’est d’ailleurs peu de le dire : sur les onze familles d’impacts, les terminaux concentrent en moyenne 83% des impacts, très loin devant les datacenters (parfois mentionnés en premier) et les réseaux.

 

Source : étude « Evaluation de l’impact environnemental du numérique en France et analyse prospective » (Ademe et Arcep, mars 2023)

Pour ces appareils, doit-on s’intéresser en priorité à leur utilisation, à leur distribution, ou encore à leur fin de vie ? Doit-on répéter à l’envi qu’il faut mettre en veille son ordinateur ? Non : c’est bien la fabrication de ces appareils qui concentre l’essentiel des impacts (environ les deux-tiers des impacts en moyenne, selon le même rapport). Ces projections sont en ligne avec les estimations que Green IT avait produites (France iNum en 2020) et auxquelles HOP avait contribué.

C’est là que le rapport prospectif de l’ADEME et de l’ARCEP se fait particulièrement intéressant. Il projette le nombre d’appareils numériques (smartphones, ordinateurs bien sûr, mais aussi consoles, imprimantes, casques, objets connectés…) sur les prochaines années, à en donner le tournis : d’ici 2030 (c’est-à-dire demain !), le scénario tendanciel table sur une croissance de 65% du parc de terminaux ! Parmi ces croissances, on trouve notamment les enceintes connectées (X5), les smartphones (+10%) et surtout l’Internet des objets (X3). Pour 2050, la tendance se prolonge.

Source : étude « Evaluation de l’impact environnemental du numérique en France et analyse prospective » (Ademe et Arcep, mars 2023)

Détail significatif : la durée de vie « tendancielle » des équipements est réputée stable, preuve que les progrès techniques accumulés par notre civilisation ne permettent pas d’augmenter leur durée de vie.

Sans stabilisation du nombre d’appareils, point de salut

L’étude élabore quatre scénarios. Le plus irresponsable est le scénario tendanciel, « si rien n’est fait » : il aboutit à une augmentation de 65% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et une augmentation de 14% de l’épuisement des ressources. D’ici 2050, l’empreinte carbone du numérique pourrait même tripler. Hélas, le scénario tendanciel est souvent le plus probable.

Deux autres scénarios testés, sous des nuances d’écoconception, proposent un accroissement de la durée de vie des appareils et une meilleure efficacité énergétique. En ressort-il une amélioration des émissions de gaz à effet de serre (GES) ? Pas du tout ! En cause : le nombre d’équipements continue de croître. On se heurte ici de plein fouet au fameux « effet rebond » : les appareils sont plus efficaces, mais ils sont plus nombreux, ce qui annihile les gains environnementaux.

En somme, seul le scénario qui présuppose une stabilisation du nombre d’équipements (scénario de sobriété) permet une réduction de ces émissions de 16%. La diapositive ci-dessous résume ces éléments de manière très pédagogique.

Source : étude « Evaluation de l’impact environnemental du numérique en France et analyse prospective » (Ademe et Arcep, mars 2023)

Viser une réduction du nombre d’appareils en France ?

On objectera ici que l’ADEME et l’ARCEP n’aboutissent, dans le scénario le plus volontariste, qu’à une réduction de 16% des GES d’ici 2030, bien loin de la « juste part » du numérique dans la neutralité carbone visée à horizon 2050. Peut-être faudrait-il oser aller plus loin, en proposant non pas une stabilisation du parc, mais une diminution ? Mais les pouvoirs publics souhaiteraient-ils vraiment entrer sur ce terrain « décroissant » ?

En effet, si l’on revient aux objets les plus amenés à augmenter dans les prochaines années, sont-ils si indispensables ? On pense par exemples aux écrans spécifiques (publicités, tableaux intelligents en classe…), aux consoles, aux casques de réalité virtuelle, aux caméras de surveillance, aux millions de capteurs prévus pour les bâtiments dits intelligents… Au sujet des capteurs, petit aparté : nous ne nions pas que certains capteurs puissent avoir un impact environnemental positif, mais est-ce vraiment le cas des 776 millions d’objets connectés prévus pour 2030 en France ?

Cette question du nombre d’appareils est centrale, car elle renvoie à la nécessaire réappropriation de la technique : voulons-nous plus de gadgets ? Des vêtements intelligents ? Des grille-pains connectés ? La fabrique des « besoins artificiels » dénoncée par Razmig Keucheyan doit laisser la place à une rationalisation des produits mis sur le marché. Pour les appareils plus directement utiles (imprimantes), leur mutualisation pourrait permettre de réduire plus drastiquement le nombre d’appareils, loin du dogme de la possession individuelle.

Pour 2050, neutralité carbone ou fuite en avant numérique ?

L’étude ADEME / ARCEP a le courage de regarder les chiffres à l’horizon 2050, à l’aune des 4 grands scénarios prospectifs travaillés par l’ADEME pour rendre concrète la neutralité carbone. Si l’ADEME considère généralement que ces quatre scénarios permettent d’aboutir à la neutralité carbone, on voit ici sur le champ du numérique que seul le scénario « génération frugale » permet une réduction des émissions de GES (-46%), tous les autres aboutissant à une hausse de ces émissions. La palme revient au scénario techno-solutionniste qui implique de quasiment quintupler les émissions de GES liées au numérique. En cause, là encore : le seul scénario qui table sur une réduction ou une stabilisation du nombre d’appareils est celui qui obtient des résultats probants.

Bien sûr, pour réduire le nombre d’appareils, l’autre levier fondamental consiste à allonger leur durée de vie. Dans les scénarios les plus volontaristes à horizon 2030, c’est une augmentation moyenne de 2 ans qui est visée. Certains lecteurs pourraient s’attendre à ce que HOP demande une projection plus ambitieuse, car après tout, il serait évidemment possible de viser des gains plus importants pour certaines catégories de produits (télévisions, écrans, imprimantes…). Mais atteindre des gains moyens de 2 ans d’ici 2030, compte tenu du temps nécessaire aux démarches d’écoconception et compte tenu de la variété des techniques d’obsolescence programmée, constitue déjà un objectif bien ambitieux. Sur ce point, nous avons envie de dire : « chiche » ! Cela implique d’aller autrement plus vite sur certains chantiers portés par HOP (voir notre livre blanc par exemple).

Une autre vision du numérique depuis longtemps portée par HOP

L’imbrication des priorités du numérique responsable et des combats de HOP saute aux yeux. Mais est-ce dans l’intérêt de tous de poser ces questions ? Il est souvent plus confortable de rester dans des discours convenus à base de trois ingrédients :

  • Il ne faut pas limiter les solutions numériques car elles font partie de la solution
  • Il faut optimiser les équipements pour qu’ils aient moins d’impact par unité
  • Il faut sensibiliser les utilisateurs sur les éco-gestes numériques

Or, nous l’avons vu, ce rapport implique de mettre en avant un autre triptyque :

  • Le numérique ne peut s’exonérer de prendre sa part aux objectifs environnementaux
  • Il faut réduire le nombre d’appareils
  • Il faut allonger la durée de vie des appareils (+ 2 ans d’ici 2030 en moyenne)

Devant ces constats, les actions menées par HOP depuis 2015 n’en apparaissent que plus « responsables ».

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