Quels sont les outils à disposition des institutions publiques et des citoyens pour ne pas subir l’obsolescence des produits ?
Les différents types d’obsolescence
Il est courant de différencier plusieurs types de « désuétude planifiée ». D’après un rapport d’information déposé par la mission d’information sur la gestion durable des matières premières minérales au nom de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire et présenté par les députés M. Christophe Bouillon et M. Michel Havard en octobre 2011, on peut distinguer :
- L’obsolescence indirecte, tenant généralement de l’impossibilité de réparer un produit faute de pièces détachées adéquates (vous perdez le chargeur de votre téléphone et ne pouvez en retrouver un, vous voilà alors contraint de changer de téléphone) ;
- L’obsolescence d’incompatibilité, par exemple le cas du logiciel informatique qui ne fonctionne plus lors de l’actualisation du système d’exploitation ;
- L’obsolescence esthétique, avec de nouveaux produits mis régulièrement sur le marché avec une esthétique nouvelle, sinon améliorée, qui rend désuètes les versions précédentes de ces produits (marketing et consommation ostentatoire, quand vous nous tenez…) ;
- L’obsolescence de fonctionnement, cas des produits conçus de manière à fonctionner un certain nombre de cycles ;
- L’obsolescence de service après-vente, conçue de façon à ce que le consommateur soit plus enclin à racheter un produit plutôt qu’à le réparer, en partie à cause des délais de réparation et des prix.
En août 2012, un rapport publié par l’Ademe sur la durée de vie des équipements électriques et électroniques insistait sur la notion d' »obsolescence conjoncturelle » des produits pouvant être liée à :
- Des raisons techniques, par exemple des sauts technologiques ou l’apparition d’incompatibilités entre équipements (comme avec la mise en réseau croissante) ;
- Des raisons économiques, par exemple des questions de coût de stockage des pièces de rechange ;
- Des raisons réglementaires, par exemple des évolutions de la règlementation en matière de technologies (changement du parc des TV avec le passage de l’analogique au numérique) ou en termes de sécurité (par exemple interdiction ou limitation de certaines substances dangereuses) ;
- Des choix de consommation au regard d’une évolution naturelle de la gamme des produits disponibles sur le marché, fonction de la maturité de la technologie considérée, des innovations et de la concurrence. Cette obsolescence commerciale serait plus poussée dans le cadre du marché B to C (Business to Consumers) que dans celui du marché B to B (Business to Business), à cause d’effets de mode.
L’Ademe résume ces différents aspects en deux catégories d’obsolescence :
- L’obsolescence fonctionnelle, quand un produit ne répond plus aux nouveaux usages attendus, pour des raisons techniques (exemple incompatibilité avec de nouveaux équipements), règlementaires et/ou économiques.
- L’obsolescence d’évolution quand un produit ne répond plus aux envies des utilisateurs qui souhaitent acquérir un nouveau modèle du fait d’une évolution de fonctionnalité ou de design.
Serge Latouche, dans Bon pour la casse (octobre 2012), distingue clairement trois types d’obsolescence : technique (fonctionnelle, liée à l’amélioration des solutions techniques), psychologique (par le biais de la publicité, du marketing, et des comportements induits de consommation) et programmée (volontairement induite par les fabricants pour assurer le maintien et la progression des ventes). Pour l’économiste, ces trois types d’obsolescence fonctionnent en symbiose et s’interpénètrent constamment.
Une chose est sûre: l’ensemble de ces nuances prouve à quel point il est nécessaire de définir la notion dans son ensemble et d’acter de mesures différenciées selon les facteurs objectifs (techniques) et les facteurs subjectifs (effets de mode, mise sur le marché de nouveaux produits) de l’obsolescence.
Au niveau institutionnel
Si la théorie d’un complot industriel organisé est quelque peu abusive, il demeure que certaines anomalies sur le fonctionnement relativement peu durable de certains produits mérite que les institutions se penchent sur la question. D’autant que les éléments liés à cette question ne sont pas seulement dramatiques pour l’environnement (utilisation des métaux rares, traitements des déchets, pollutions induites et effet sur la santé publique), mais aussi en termes économiques et sociaux (pouvoir d’achat, endettement, inégalités, etc.).
Pour Jean-Vincent Placé, cette question souligne les limites de notre société de consommation actuelle et la proposition de loi portée par le groupe écologiste au Sénat afin de lutter contre l’obsolescence, débattue le mardi 23 après midi en présence du ministre Benoît Hamon, vise avant tout à augmenter la durée de vie des produits en étendant progressivement la garantie légale de 2 à 5 ans d’ici 2016.
Elle envisage également de faciliter la mise à disposition des pièces détachées pendant dix ans, de renforcer l’information du consommateur via des notices de réparation et des renseignements sur le recyclage/réemploi et de donner une définition au « délit d’obsolescence programmé » qui pourrait permettre des actions en justice, dont des actions de groupe (ces « class action » telles que celles qui ont été menées aux Etats-Unis, contre Apple, sans aboutir car la firme a proposé de dédommager les plaignants). Sans parler d’une réflexion à mener sur l’économie de la fonctionnalité et la façon de favoriser la vente d’usage plus que de propriété, et le besoin de mener une étude d’impact sur les emplois qui pourraient être créés avec une politique de fabrication favorisant la qualité et l’entretien des produits.
Au niveau européen, certaines directives favorisent indirectement la lutte contre l’obsolescence en insistant sur la nécessité de proposer des produits dotés de piles et accumulateurs amovibles (directive 2006/66/CE), en incitant à l’écoconception des produits (directive 2009/125/CE) (voir aussi la directive 2012/19/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relative aux déchets d’équipements électriques et électroniques). D’après le mémoire de recherche effectué par Lydie Tollemer, l’étudiante citée par Rafaele Rivais, la directive 2008/98/CE visant à réduire la quantité de déchets produits dans l’Union Européenne pourrait aussi responsabiliser les fabricants par le biais des quantités de déchets générées par leur production.
Le Conseil Economique et Social Européen travaille actuellement à la rédaction d’un avis qui pourra également soumettre la mise en place de nouvelles directive à la Commission et au Parlement Européens.
Au niveau de la société civile
En attendant que ces législations soient actées et mises en oeuvre, plusieurs solutions s’offrent à vous pour ne pas tomber dans le panneau.
Lors de l’achat, assurez-vous des conditions de fabrication, renseignez-vous en amont sur la qualité des produits, n’hésitez pas à acheter un petit peu plus cher… si cela vous est permis.
Pour faire votre choix, faites un tour sur le site garantie5ans.com créé en 2012 pour faciliter la recherche de produits ayant une garantie longue. Pour Ivan Couet, le cofondateur du site, « la durée de garantie n’est peut être pas la panacée mais si un constructeur s’engage sur une garantie de 5 ans alors que la loi ne l’oblige pas encore à le faire, c’est qu’il a une certaine confiance dans son processus de fabrication. Il y a 30 ans c’était la fierté d’une marque que de construire des produits durables, c’est a nous, consommateurs, de faire bouger les lignes pour que les entreprises réfléchissent de nouveau a cela. »
Damien Ravé, de l’excellent site CommentReparer.com, invite aussi les consommateurs à s’interroger sur leurs habitudes et estime que l’ensemble de ces débats ne peut que pousser à s’interroger vraiment sur la notion de durabilité des produits.
En cas de casse, ayez le réflexe Sugru, la pâte qui répare (presque) tout et n’hésitez pas à bricoler un peu (voir alors CommentReparer.com ou ifixit.com).
En cas de panne, souvent liée à un souci d’ordre électronique, voyez avec le service après-vente si l’objet est encore sous garantie, mais n’hésitez pas autrement à vous rendre chez des professionnels de la bidouille, chez des amateurs qui dans les FabLab ou des HackLab pourraient trouver des solutions à votre problème (en regardant les circuits ou en usant d’une imprimante 3D par exemple s’il s’agit d’une pièce à remplacer qui n’est plus disponible dans le commerce).
Vous pouvez également faire appel à des services comme ceux proposés par Lokéo : cette filiale du groupe HTM (Boulanger) créée en 2010 est le premier site internet en France qui propose des solutions de location en électroménager, image / son et multimédia. Elle entend ainsi vous proposer de profiter de l’usage d’un produit sans les inconvénients liés à l’achat et tout en bénéficiant d’une prestation de service globale que vous n’avez pas avec ce dernier (livraison, installation, SAV, reprise du produit en fin d’usage et recyclage). D’autres sites comme Zilok ou E-Loue vous permettront d’emprunter les objets dont vous avez besoin et éviter de les acheter si cela consiste, par la suite, à les laisser dans un coin…
Autre solution: signer cette pétition lancée sur Avaaz le 23 mars 2013 afin de mobiliser plus largement la société civile sur ces questions et favoriser la prise de décision publique en la matière.
Et quand vos produits sont en fin de vie, n’oubliez pas les filières de réemploi et le réseau des ressourceries. Et si vous souhaitez les remplacer pour des raisons liées à la mode ou à des innovations techniques utiles pour vos activités, cela est votre droit… et n’hésitez pas alors à revendre vos précédents biens…
Si vous avez d’autres astuces, idées ou suggestions, n’hésitez pas à les indiquer en commentaires !
Anne-Sophie Novel