L’économie circulaire a pour ambition de former une boucle vertueuse entre consommation et production. L’objectif est de limiter l’exploitation des ressources naturelles, les émissions de gaz à effet de serre et la production de déchets. Elle propose de sortir du schéma classique de l’économie linéaire qui exploite la nature pour produire, avant de vendre et de consommer, puis de détruire.
Les consommateurs, particulièrement les plus modestes, ont tout à y gagner puisqu’elle pourrait éliminer le gaspillage, mettre un terme aux produits prêts-à-jeter. Elle favoriserait le réemploi, le marché de l’occasion, le don et la réparation. L’enjeu est donc de taille pour le projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, présenté en conseil des ministres en juillet, débattu au Sénat le 24 septembre 2019 : tout bousculer pour faire tourner l’économie dans le bon sens.
Impasse sur le numérique
A la lecture du texte, nous constatons une prise de conscience des enjeux de la part du gouvernement, au moins dans l’exposé des motifs. Les questions de la consommation, de l’obsolescence programmée, des déchets plastiques, du réemploi, de la réparation et du recyclage y sont posées. Toutefois, la loi fait l’impasse sur le sujet du numérique, pourtant particulièrement polluant et dont les effets risquent de s’accroître considérablement avec l’arrivée des objets connectés ou encore de la 5G – dont l’adoption peut entraîner un important mouvement d’obsolescence logicielle.
L’essentiel des efforts repose sur les citoyens : « Vous voulez une planète vivable, alors choisissez mieux vos produits ! »
Quels sont les moyens proposés par le gouvernement pour parvenir à une économie circulaire ? Dès que nous abordons le cœur de la loi et ses articles, la stratégie mise en œuvre est surtout celle de l’incitation et de l’information, sans vraiment changer les règles du jeu. Le gouvernement veut responsabiliser les fabricants et vendeurs dans la gestion des déchets pour qu’ils soient davantage recyclés.
La loi vise à créer de nouvelles filières soumises à la responsabilité élargie du producteur et à renforcer les primes ou pénalités en fonction de critères de performance environnementale. Mais l’essentiel des efforts repose sur les citoyens : « Vous voulez une planète vivable, alors choisissez mieux vos produits ! » C’est tout l’objet du titre premier de la loi. Pour cela, seront mises à disposition les informations nécessaires à un choix éclairé : un système de marquage ou d’étiquetage sur leurs qualités et caractéristiques environnementales, ainsi que l’indice de réparabilité. Une méthode qui a ses vertus, mais qui n’est pas encore à la hauteur des enjeux.
Notons en effet que ces mesures sont utiles, à condition que la transparence soit réelle et que l’information donnée soit fiable. Par exemple, il est essentiel que les paramètres ayant permis de calculer l’indice de réparabilité soient rendus public et accessibles. Imaginez : vous vous laissez séduire par un ordinateur portable doté d’un bel indice 8,5/10 de réparabilité auto-proclamé par le fabricant. Cette note a été obtenue notamment grâce à un paramètre important (parmi les critères d’une grille et d’une pondération standardisés) : le délai de disponibilité des pièces détachées, dans notre cas, disons de dix ans déclarés. Mais au bout de deux ans et demi, c’est déjà en panne et les pièces ne sont plus fabriquées.
Si les critères permettant d’établir la note de réparabilité ne sont pas accessibles aux consommateurs (pour afficher seulement la note finale telle que le texte le prévoit actuellement), il n’y aura aucun moyen de se défendre alors que notre choix aura été vicié par une information, une simple note, trompeuse, sans explication sur son contenu et invérifiable. Ainsi, l’information donnée à un consommateur n’a d’intérêt que si elle est sanctionnable par ceux qui peuvent y trouver un préjudice. D’autant plus que malheureusement, nous le savons, l’Etat n’aura jamais les moyens de contrôler les déclarations des fabricants. Les critères doivent également être exigeants.
Le dernier rapport de l’association HOP sur l’obsolescence des lave-linges révèle certains cas d’irréparabilité de pièces pourtant essentielles au bon fonctionnement ou des pièces d’usures (comme les roulements ou les cartes électroniques). Un indice qui ne se concentrerait que sur les pièces les plus simples ne serait pas pertinent. Les discussions entre les différentes parties prenantes (fabricants, distributeurs, réparateurs, associations…) sont souvent animées pour tenter de s’accorder.
Par ailleurs, qu’un produit soit réparable, c’est bien, qu’il soit solide, c’est mieux. Un indice de réparabilité obligatoire représente une très bonne nouvelle, car nous pourrons comparer les produits sur le marché, mais on y préférerait un indice de la durabilité qui prenne aussi en compte la solidité des matériaux et la conception. Mieux encore, l’Etat devrait pouvoir mettre en place des normes et obligations pour que les produits non-durables ou non-réparables ne puissent pas être commercialisés. Pourquoi alors ne pas s’attaquer plus directement à la durabilité des produits?
L’avocat du diable
On pourrait se faire l’avocat du diable et se dire que si, après tout, tout est recyclable, il n’y a pas de problème avec le fait que des produits prêts-à-jeter tombent en panne trop rapidement. Loin de remettre en cause une logique de croissance des biens manufacturés, le gouvernement entend, avant tout, structurer l’offre et se concentrer sur le recyclage.
Le recyclage reste la meilleure solution en bout de course, et doit être amélioré, il est loin d’être une solution miracle
Mais mettre en place l’économie circulaire, ce ne peut être simplement gérer l’accroissement des déchets en donnant l’illusion que tous les déchets peuvent être des ressources. Si le recyclage reste la meilleure solution en bout de course, et doit être amélioré, il est loin d’être une solution miracle. Prenons l’exemple d’un smartphone, sa fabrication a mobilisé environ 70 kg de matière. Elle requiert 60 métaux différents, dont une vingtaine uniquement est actuellement recyclable, et seulement 16 % des téléphones sont collectés pour être dépollués.
Plus généralement, la phase du cycle de vie d’un objet qui a le plus fort impact pour l’environnement n’est pas l’utilisation par le consommateur mais la fabrication, tant elle mobilise de matière, d’infrastructure, de transport, d’eau… Il apparaît donc essentiel d’allonger la durée de vie des biens, en mettant en place les conditions d’une meilleure réutilisation, réemploi, mutualisation et réparation. Cela nécessite d’agir dès leur conception, pour qu’ils puissent disposer de plusieurs vies en cascade.
Responsabilité des pouvoirs publics
Dans ce processus, le consommateur a son rôle à jouer, le pouvoir de son porte-monnaie est décisif. L’Etat peut l’accompagner dans cette mission. Néanmoins, le gouvernement peut-il légiférer pour améliorer la conception même des produits et non protéger des dérives du marché ? Certes, l’Union européenne contraint beaucoup les décisions politiques au sein de l’Hexagone. Toutefois, les fabricants et vendeurs doivent être encadrés et incités davantage.
C’est la responsabilité de l’Etat de garantir aux citoyens l’accès à des produits sains et solides sur son territoire. Les consommateurs, eux, ne peuvent pas agir directement sur la conception des produits. Il faudrait imposer un délai de disponibilité des pièces détachées, un compteur de cycle sur certains biens (comme les lave-linges) pour mesurer la durabilité, étendre les garanties légales selon les prix ou les catégories de biens, créer un fonds de la réparation, fixer des objectifs clairs pour la France et des moyens en faveur du réemploi… Autant de mesures que ne prévoit pas encore le projet de loi.
La publicité, enfin, est la grande absente de ce projet. Quelle cohérence y a-t-il à demander aux citoyens de bien choisir tout en les conditionnant à sur-consommer via une publicité omniprésente ? Encadrer la publicité tout en annonçant l’interdiction de la destruction des invendus, lors d’un déplacement ministériel chez Cdiscount, serait-il incompatible ? Cette intention contre le gaspillage est bonne mais ces mêmes invendus pourront toujours librement être « recyclés », donc détruits (malgré la récupération d’une partie des matières), voire envoyés en décharge ou incinération à l’étranger. Pourquoi ne seraient-ils pas prioritairement réutilisés ou donnés ? Les fruits de ces compromis ont un goût amer et le bilan écologique reste inquiétant.
Compter sur le volontarisme des entreprises et des citoyens, sans changer les fondements d’un système économique problématique, est insuffisant
Compter sur le volontarisme des entreprises et des citoyens, sans changer les fondements d’un système économique problématique, est insuffisant. Plus largement, pour relever le défi d’une économie compatible avec l’écologie, les politiques doivent avoir le courage de repenser le modèle de production et de consommation ; être capable de proposer un projet de société où la valeur ne repose pas tant sur l’accumulation d’objets (et de TVA) superflus et peu durables, mais de produits nécessaires ou de services ; sortir d’une logique en silo entre ministères pour penser le financement d’un modèle social écologique, juste et solidaire. Les secteurs économiques vertueux d’avenir, doivent être soutenus, via des crédits d’impôt pour la recherche et le développement, des fonds à la réparation et le réemploi.
En définitive, cette loi oscille entre bonne volonté et poids de certains lobbys. Elle contribue à conserver un équilibre bancal dans lequel ceux qui sont responsables des dégradations ne payent pas la facture environnementale, la laissant aux plus modestes et aux générations à venir. Malgré quelques progrès, la boucle de l’économie « circulaire » n’est pas encore bouclée.