Le gouvernement suédois a adopté une mesure en 2016 consistant à réduire la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 25 % à 12 % sur la réparation des vêtements, des vélos, des réfrigérateurs et des machines à laver. Cette mesure marque la volonté de la Suède de réduire son impact environnemental, notamment en incitant les consommateurs à modifier leur comportement et en luttant contre l’obsolescence programmée.

Cette notion d’obsolescence programmée est définie par l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) comme « un stratagème par lequel un bien verrait sa durée normative sciemment réduite dès sa conception, limitant ainsi sa durée d’usage pour des raisons de modèle économique ». Ainsi, si un téléviseur tombe en panne quelques mois après l’expiration de la garantie, il sera très souvent beaucoup plus facile et économique d’en racheter un neuf que de le faire réparer, compte tenu de la difficulté à trouver un réparateur et / ou des pièces détachées, des délais, du coût comparé à celui d’un téléviseur neuf, etc. L’obsolescence programmée apparaît avant tout comme le symptôme d’une dérive de la société de consommation, qui peut d’ailleurs aussi être favorisée par les consommateurs eux-mêmes au travers de leurs pratiques.Dans ce contexte, les propositions pour lutter contre l’obsolescence programmée se multiplient depuis quelques années. Dès 2014, Futuribles International a ainsi mené une vaste étude visant à analyser le potentiel de développement de modes de consommation et de production plus durables [1], et publie depuis régulièrement des analyses sur ce sujet.La Fabrique écologique vient quant à elle de publier un rapport sur l’obsolescence programmée, qui comprend trois propositions, dont le but aussi est de « garantir la réparabilité des produits par une application plus résolue et quelques modifications de la loi consommation du 17 mars 2014 (loi Hamon) [2].Lætitia Vasseur, présidente de l’association HOP, Halte à l’obsolescence programmée, vient aussi de publier, avec Samuel Sauvage, Du jetable au durable, en finir avec l’obsolescence programmée (Paris : Alternatives [Manifestô], 2017). Elle y montre que de nombreux leviers permettraient de lutter contre l’obsolescence programmée pour aller vers des modes de consommation et de production plus durables. Futuribles lui a posé trois questions pour mieux comprendre l’initiative suédoise et son potentiel.

En quoi consiste cette initiative et quel est son objectif ? 

Laetitia Vasseur : « L’initiative consiste à rendre plus rentable de réparer plutôt que de jeter. L’objectif est avant tout écologique : réduire les émissions de gaz à effet de serre et autres pollutions. En effet, on sait désormais que la consommation frénétique de produits neufs est un facteur très important de l’empreinte écologique, en particulier dans la phase de fabrication. Pour limiter les conséquences environnementales et sociales de l’obsolescence programmée, il s’agit, pour une grande part, de réparer les produits qui peuvent l’être et valoriser l’économie des produits de seconde main. Ainsi, cette mesure, en réduisant la TVA sur la réparation de 25 % à 12 % sur les vêtements, les vélos, les réfrigérateurs, les machines à laver, est une excellente incitation à la réparation pour le consommateur, qui pourra en bénéficier directement. De nos jours, acheter un produit neuf bas de gamme coûte souvent moins cher que de réparer l’ancien, la mesure initiée par le gouvernement suédois a le mérite d’essayer de renverser un système absurde. »

Peut-elle suffire à lever les freins à la réparation ou en tout cas les réduire ?

L.V. : « Une telle mesure fiscale représente un bon signal pour dépasser plusieurs obstacles : tout d’abord, cela permettra de réduire un peu la facture des consommateurs qui se tourneront plus facilement vers les réparateurs et services après-vente. Ce regain d’intérêt pour le secteur pourra accroître les besoins dans un secteur actuellement globalement en difficulté. Concurrencés par la main-d’œuvre peu chère des pays producteurs, les réparateurs ont des prix souvent trop élevés par rapport à celui d’un produit équivalent neuf. La mesure permet de valoriser le travail local, en baissant la TVA pour le consommateur. C’est un juste rééquilibrage. « Ce coup de pouce fiscal, accompagné d’innovations quant aux services de réparation (devis gratuits, système de forfait, autoréparation avec des tutoriels en ligne), mais aussi grâce à l’économie collaborative qui permet de mettre en relation plus facilement l’offre et la demande sur un territoire, sans avoir nécessairement besoin d’un local commercial, ou encore le développement du marché des pièces détachées d’occasion, pourraient rendre la réparation réellement plus attractive. « Le problème ne réside pas uniquement dans le prix mais aussi dans le service : il faut, par exemple, que les services après-vente des enseignes offrent un meilleur service, en particulier le remplacement du produit pendant la durée de la réparation. Il est difficile de se passer, pendant plusieurs semaines, d’un ordinateur si c’est son outil de travail, ou d’une machine à laver dans une famille nombreuse… »

Ce type de mesure pourrait-il être transposé en France et constituerait-il une réponse intéressante à l’obsolescence programmée ?

L.V. : « Oui, je crois que la mesure pourrait être transposée en France, c’est une proposition que nous [l’association HOP] avons poussée auprès des institutions, reprise par plusieurs parlementaires par voie d’amendement lors des débats budgétaires. Le gouvernement français y reste opposé pour le moment, arguant le coût économique d’une telle mesure ; mais comme l’a très bien compris le ministre suédois, les impacts ne doivent pas être envisagés dans une vision court-termiste : les pertes de recettes pour l’État et les collectivités locales seraient compensées par une diminution du chômage et par une moindre quantité de déchets à traiter, sans parler du coût que représentent le réchauffement climatique et la pollution en général pour la santé. L’initiative audacieuse de la Suède pourra, espère-t-on, inciter la France et d’autres pays d’Europe à faire de même.« Pour lutter contre l’obsolescence programmée, il est impératif que les produits soient conçus pour être réparés, ce qui n’est souvent pas encore le cas. C’est bien tout l’enjeu : faire en sorte que les produits soient mieux conçus, modulables, plus simples, avec des pièces détachées accessibles. Si la réparation est plus attractive économiquement pour les consommateurs, ces derniers seront plus attentifs au caractère réparable des produits vendus, ainsi la mesure suédoise va, une fois encore, dans le bon sens.« Ces mesures en faveur de la réparation sont nécessaires mais insuffisantes. Il s’agit en effet d’aller plus loin : afficher la durée de vie, étendre les droits à la garantie (de deux ans actuellement à cinq ans par exemple sur le gros électroménager), rendre disponibles les pièces détachées… Le gouvernement peut également jouer un rôle pionnier en favorisant l’éco-conception, l’économie de l’usage, circulaire et collaborative, ou encore la consommation responsable. L’obsolescence des produits est un phénomène social global. Pour améliorer la qualité des produits et diminuer l’empreinte écologique, chacun doit faire sa part : les industriels en concevant et vendant des produits durables, robustes, réparables ; les consommateurs en s’informant davantage lors de l’achat, en réparant et en entretenant mieux les produits ; et bien sûr l’État (et l’Europe) en renforçant les moyens fiscaux et légaux à disposition. »

Propos recueillis par Cécile Désaunay dans futuribles.com

[1] Désaunay Cécile et Jouvenel François (de) (sous la dir. de), Produire et consommer à l’ère de la transition écologique. Quatre scénarios pour la France à l’horizon 2030, Paris : Futuribles International,  https://www.futuribles.com/fr/groupes/produire-et-consommer-en-france-en-2030/. Consulté le 26 janvier 2017.
[2] Comment agir vraiment contre l’obsolescence programmée ? Aller vers une consommation plus soutenable, Paris : La Fabrique écologique, 2017. URL : http://media.wix.com/ugd/ba2e19_fabd29529b8749f8b23ef423b18b03f0.pdf. Consulté le 26 janvier 2017.

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