“Cette décision de Microsoft est un révélateur des logiques d’obsolescence du modèle numérique dominant”
Le 14 mai dernier l’association HOP - Halte à l’obsolescence programmée, organisait un Apér’HOP “Windows 10, bientôt hors jeu ?”. L’occasion de mettre en lumière les défis sociaux et environnementaux derrière la décision récente de Microsoft de mettre fin d’ici octobre 2025 aux mises à jour gratuites de Windows 10, 8.1 et 7. Retour sur cette soirée qui a réuni 40 participant·es autour d’un panel d’expert·es

C’est le 14 mai à 18 h 30 que s’est déroulé le dernier Apér’HOP de HOP, au sein de la Fondation Charles Léopold Mayer située dans le 11ème arrondissement de Paris. 40 participant·es ont écouté les 5 intervenant·es venus discuter de la fin des mises à jour de Windows 10, 8.1 et 7 par Microsoft.

Une table-ronde d’acteur·ices engagé·es en faveur d’un numérique responsable avec Bela Loto (Présidente de l’association Point de M.I.R) ; Arthur Aubrée (Chef de projet Tech Grand Est chez Emmaüs Connect) ; Mathieu Wostyn (Chargé du système d’information du Mouvement Colibris) ; Frédéric Urbain (Porte-parole de l’association Framasoft) et Alizée Colin (Responsable Enseignement et Grand Public – La Fresque du Numérique). Cette riche table-ronde était animée par Samuel Sauvage, cofondateur de HOP.

À partir d’octobre 2025, les utilisateurs de Windows 10, Windows 8.1 devront payer pour continuer à bénéficier des mises à jour de sécurité ou migrer vers Windows 11. Le problème ? Environ 240 millions d’ordinateurs dans le monde ne sont pas compatibles avec Windows 11. Cette décision risque d’entraîner un vaste renouvellement contraint du parc informatique mondial

Les plus précaires sont et seront les premiers touchés

Les personnes en situation de précarité sont et seront les plus touchées par la décision de Microsoft.

D’abord du fait des conditions des travailleur·euses cachées derrière la fabrication d’un produit électronique, depuis l’extraction des matières premières jusqu’à la fin de vie de ces objets, en passant par leur utilisation elle-même. Les nombreuses révélations des conditions de travail dans les mines en sont de douloureux rappels. Mais d’autres méfaits, moins connus, posent les mêmes questions éthiques : “Les travailleur·ses du clic et les modérateur·ices par exemple, sont vraiment les sacrifié·es de l’IA. Mais nous pouvons aussi citer le cimetière numérique au Ghana, près d’Accra, où les gens travaillent dans des conditions extrêmes”, explique Bela Loto. On pense alors aux ordinateurs mis au rebut à la suite de ces annonces de Microsoft.

La deuxième raison, c’est l’incapacité pour les personnes les plus précaires de s’équiper. Non seulement parce qu’elles ne sont pas informées de cette possibilité de passer sur un autre système que Microsoft, tel que Linux ou un autre logiciel libre, mais aussi parce qu’elles ne sont pas en mesure de se procurer un nouvel ordinateur. Conséquences : “Certaines personnes ne pourront même plus accomplir des démarches administratives de base”, indique Arthur Aubrée. Et pourtant, la plupart des services publics français actuels sont en voie d’être automatisés : Pôle Emploi, la CAF, la Sécurité Sociale, etc. Il y a une “vraie violence sociale dans cette automatisation sans accompagnement de tous les services publics” ajoute Samuel Sauvage.

Il est donc essentiel de conscientiser ce qui se passe derrière les termes “numérique”, “intelligence artificielle”, etc. Pour Belo Loto : “c’est surtout beaucoup d’humains derrière. Il faut vraiment sortir de cette idée d’un numérique “magique”, désincarné dans le “cloud”. Car ce “cloud” est matériel : câbles, serveurs, minerais, électricité, et humains”.

240 millions d’ordinateurs mis au rebut avec la fin du support de Windows 10 : un bilan écologique chaotique

“La fabrication d’un seul ordinateur, c’est 800 kg de matières extraites”, rappelle Alizée Colin. Elle évoque également les incitations au rachat d’un PC neuf sur la page d’annonce de Microsoft. “C’est une logique marketing et esthétique pour pousser à l’achat de machines plus performantes et compatibles avec de nouveaux usages, comme l’IA”.

“La dématérialisation de nos services, et notamment des services publics est souvent présentée comme écologique, comme “zéro papier”. Mais on oublie que l’impact environnemental du numérique dépasse largement celui du papier. Les serveurs, les terminaux, le renouvellement permanent des équipements sont autant d’outils nécessaires au numérique. Le “zéro papier” est un slogan marketing qui masque des externalités bien plus lourdes”, s’exclame Mathieu Wostyn.

Ces éléments posent éminemment la question du Numérique Responsable. Qu’en est-il vraiment ? “Ce n’est pas seulement éteindre la lumière ou trier ses mails. C’est interroger les besoins, refuser le gaspillage numérique, allonger la durée de vie des appareils, militer pour des services publics plus sobres. C’est politique en fait” insiste Alizée Colin.

Plus qu’un changement de logiciel : un révélateur

Les constats établis lors de l’Apér’HOP invitent à se questionner : la fin du support de Windows 10 et des versions antérieures est plus qu’un simple changement de logiciel. C’est un révélateur. Elle met en lumière les dérives du modèle numérique actuel : obsolescence programmée, dépendance au GAFAM, impacts écologiques et sociaux, fracture numérique croissante, etc.

Les intervenant·es ont proposé quelques pistes de réflexion. Apporter son appareil auprès d’un professionnel pour le réemployer et le reconditionner en est une (Arthur Aubrée). Sortir du modèle imposé par les géants du numérique, en se tournant vers les logiciels libres en est une autre (Mathieu Wostyn). Encore faut-il se réapproprier les outils. “Lors des “Samedis du libre”, aux “repair cafés”, nombreux sont les bénévoles passionnés qui peuvent aider à réparer vos appareils. Il existe des communautés du logiciel libre un peu partout” nous dit Frédéric Urbain. “Il faut échanger les pratiques et les connaissances, réunir les savoirs, pour pouvoir imaginer un modèle d’usage collectif.”

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