Anatomie d’un changement sociétal autour de la durabilité
À l’occasion du colloque organisé au Sénat pour les dix ans du délit d’obsolescence programmée, HOP a consacré sa deuxième table ronde à une question centrale : comment mesurer l’impact dans une perspective de transformation systémique ? On vous explique ce que cela veut dire et ce que cela implique.

Animée par Valentina Carbone directrice du programme doctoral de l’ESCP, cette table ronde intitulée « Mesurer l’impact, anatomie d’un changement sociétal » regroupait trois intervenant·es issu·es de sphères complémentaires : associative, institutionnelle, législative.

  • Elsa Da Costa, directrice générale d’Ashoka France,
  • Baptiste Perrissin-Fabert, directeur général délégué de l’ADEME,
  • David Cormand, député européen Europe Écologie Les Verts.
Allégorie de la justice tenant une balance
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Ce que signifie « mesurer l’impact » aujourd’hui

À l’heure où les initiatives se multiplient pour allonger la durée de vie des produits et engager un virage vers l’économie circulaire, la question de l’évaluation devient centrale.

Comment s’assurer que les politiques publiques, les engagements des entreprises ou les campagnes citoyennes débouchent réellement sur une transformation systémique ?

Faut-il se limiter à des indicateurs techniques ou faut-il repenser nos outils d’analyse à l’aune des enjeux sociaux, économiques et écologiques imbriqués ? C’est dans ce cadre que Valentina Carbone interroge les intervenant·es sur les conditions d’évaluation d’un changement durable : Que mesure-t-on exactement ? Une amélioration sectorielle ? Un changement d’échelle ? Et surtout, qui est légitime pour mener cette évaluation, avec quels outils et dans quel cadre ? 

« Le changement ne se mesure pas en silo »

Pour Elsa Da Costa, la mesure d’impact est incontournable :« Oui, il faut mesurer les impacts. On a besoin de se donner une marge de progression. »

Elsa Da Costa rappelle que chez Ashoka, réseau qui accompagne plus de 4000 entrepreneur·es sociaux (dont Laetitia Vasseur, co-fondatrice de HOP) dans 93 pays, la mesure d’impact vise une transformation systémique. Qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’il ne s’agit pas de comptabiliser des résultats isolés. Il faut observer la capacité d’une initiative à reconfigurer un système dans son ensemble, en impliquant citoyen·nes, institutions et entreprises. Pour elle, tous les acteur·ices sociaux ne visent pas ce type d’impact : certain·es jouent un rôle de maintien du lien social, mais les innovations les plus puissantes visent un basculement structurel.

Elle identifie cinq leviers majeurs de transformation : 

  • la technologie, 
  • les récits journalistiques, 
  • la fiction (cinéma, séries), 
  • la publicité

Chacun·ne peut, à sa manière, façonner les représentations collectives. Elle cite notamment la série The Queen’s Gambit, qui a encouragé des milliers de jeunes filles à jouer aux échecs, ou la loi Évin, qui a transformé le rapport à la consommation d’alcool. Elle mentionne également un marqueur culturel : lorsque l’économie circulaire entre dans les exercices scolaires, cela signale une évolution de fond.

« L’évaluation est notre obsession »

Baptiste Perrissin-Fabert décrit l’approche de l’ADEME, marquée par une culture forte de l’évaluation. L’agence mobilise des outils comme les analyses de cycle de vie (ACV), les études socio-comportementales ou les indicateurs multicritères (carbone, ressources, biodiversité).

« Nous avons étudié presque tous les appareils. »

Le directeur général délégué de l’ADEME insiste sur un chiffre-clé.

80 %

de l’impact environnemental d’un produit se concentre sur sa phase de fabrication.

Il justifie ainsi l’importance de politiques favorisant l’allongement de la durée de vie. Baptiste Perrissin-Fabert mentionne aussi les effets rebond, y compris dans la seconde main, ou les nouveaux enjeux liés à l’intelligence artificielle.

Il déplore cependant l’absence d’indicateurs intermédiaires entre les données micro (à l’échelle d’un produit) et macro (à l’échelle des ressources globales). Ce niveau « méso », selon lui, est aujourd’hui absent des outils publics. Il appelle à une mobilisation accrue de la recherche pour combler ce « trou dans la raquette ».

Un levier normatif encore sous-exploité

L’indice européen de réparabilité, tel qu’il est envisagé aujourd’hui, reste bien moins ambitieux que son équivalent français, ne prenant pas en compte certains critères fondamentaux comme le prix des pièces détachées ou les délais de livraison. Pourtant, il serait illusoire de sous-estimer la portée du levier européen. Comme le rappelle David Cormand, « l’Union européenne est le premier marché de consommation au monde ». En fixant des standards, elle a le pouvoir de transformer structurellement les pratiques industrielles, bien au-delà des frontières nationales.

"
Ne croyons pas que réguler nous rend moins compétitifs. C’est même l’inverse.
David Cormand
Député européen Europe Écologie Les Verts

C’est dans ce contexte qu’un ensemble de textes, issus du Pacte vert européen (Green Deal 2019–2024), est en cours de déploiement. 

Parmi eux : 

  • la directive sur l’écoconception, 
  • le règlement sur les allégations environnementales (Green Claims), qui a depuis le mois de juillet était abandonnée par la Commission européenne, 
  • la législation sur les pratiques commerciales déloyales
  •  et, bien sûr, le texte sur le “Right to Repair” (R2R). 

Ces régulations européennes visent à encadrer les pratiques de consommation et à garantir une économie plus durable, alignée avec les limites planétaires. HOP suit de près chacun de ces textes. L’association a produit plusieurs notes sur le Green Deal, les obligations d’affichage environnemental ou encore les droits à la réparation.

HOP, catalyseur d’impact

Tout au long de la table ronde, HOP a été cité comme un acteur central de l’impact systémique. Pour Valentina Carbone, l’association agit comme un entrepreneur institutionnel, capable de faire émerger un sujet dans l’agenda politique, tout en dialoguant avec les entreprises et en mobilisant les citoyen·nes.

Les outils portés par HOP, comme les plaintes, les études, ou encore la mobilisation sur les réseaux sociaux, sont autant de leviers pour faire converger les parties prenantes autour d’enjeux communs.

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