Les rapports sur les impacts environnementaux du numérique se multiplient récemment, et avec eux les propositions pour imaginer un avenir soutenable des technologies. Dans la lignée de la publication de l’enquête “iNum” de Green IT, de la mission d’information du Sénat sur l’empreinte environnementale du numérique pour une transition numérique écologique, et des propositions de la convention citoyenne pour le climat, le Conseil national du numérique (CNNum) vient de remettre sa feuille de route sur le numérique et l’environnement (FREN). Ce document, commandé en février dernier par le ministère de la transition écologique et solidaire, a été réalisé en collaboration avec le Haut conseil pour le climat et de nombreuses parties prenantes, dont l’association HOP. Il contient 50 mesures “pour un agenda national et européen sur un numérique responsable”. 

Le CNNum est chargé d’étudier la transition numérique en France. Partant du constat que le numérique est responsable de 4% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, et qu’il représente une forte pression sur les ressources minérales et énergétiques, l’étude a rassemblé plusieurs dizaines de contributions pour établir ses propositions. Parmi celles-ci, nombreuses sont celles qui ont pour objet l’obsolescence et la durabilité des produits électroniques, thématique qui est au coeur des combats menés par HOP. 

Des objectifs transversaux de durabilité et de sobriété

A de nombreuses reprises, le rapport met l’accent sur l’importance de la sobriété dans la transition numérique. Le premier des trois volets vise en effet à répondre à l’objectif de neutralité carbone du numérique en 2030. 

Ceci passe avant tout par l’évaluation de l’empreinte environnementale du numérique. Un indicateur qui quantifie les impacts environnementaux du numérique servirait en effet de base pour développer toutes les autres mesures (responsabilisation des fabricants, information et sensibilisation du consommateur…), et pour adapter les politiques publiques au fil du temps. La FREN propose donc de créer un indicateur européen commun, ou encore de publier l’empreinte environnementale des politiques mises en place. Elle considère que : 

“Dans le cadre de l’objectif fixé par l’Accord de Paris de contenir le dérèglement climatique, il est impératif de mobiliser et de responsabiliser les producteurs et les consommateurs de biens et de services numériques (entreprises, administrations, particuliers) afin qu’ils adoptent la sobriété numérique comme guide d’action”

Dans la catégorie “moins et mieux produire et concevoir les biens et services numériques”, la FREN intègre la durabilité de la production des équipements électriques et électroniques. Elle propose ainsi une meilleure gestion des minerais nécessaires à leur fabrication (traçabilité, relocalisation, valorisation des déchets), un renforcement des objectifs européens de recyclabilité et de standardisation (en prenant l’exemple des chargeurs), ainsi que l’optimisation de la consommation énergétique des data centers et des réseaux et infrastructures numériques. Dans plusieurs cas, il est préconisé de mettre en place des études d’impact et d’évaluer systématiquement l’empreinte environnementale ainsi que la possibilité de réemployer les équipements.

Renforcer la lutte contre l’obsolescence programmée

La mesure n°8 de la feuille de route propose une consolidation des dispositions existantes en matière de lutte contre l’obsolescence programmée.

Elle préconise d’intégrer à la définition de l’obsolescence programmée celle de l’obsolescence logicielle. Celle-ci concerne les logiciels des appareils induisant le raccourcissement intentionnel et prématuré de la durée de vie des produits (plus de détails dans notre article dédié). La FREN reprend en ce sens les propositions du Livre blanc de HOP suggérant la réversibilité des mises à jour logicielles évolutives, l’obligation de définir une durée de disponibilité du support technique, la possibilité de mettre à jour les produits après la mise sur le marché, ou encore la dissociation des mises à jour évolutives de celles correctives. Le consommateur aurait ainsi le choix de refuser son consentement pour l’installation de mises à jour superflues et trop lourdes.

Enfin, le CNNum propose de porter l’interdiction de l’obsolescence programmée telle qu’elle existe dans la loi française au niveau européen. Elle propose aussi de défendre à l’échelle de l’Union la protection des lanceurs d’alerte sur ce sujet, et l’inversement de la charge de la preuve pour que ce ne soit plus au consommateur de prouver que son bien a fait l’objet d’une pratique d’obsolescence programmée.

“Moins et mieux consommer les biens et services numériques”

La feuille de route va plus loin dans ses mesures contre l’obsolescence. “Interroger la pertinence de nos usages numériques afin d’en limiter la croissance” est une mesure qui vise notamment à limiter les usages excessivement polluants (Internet des objets, taille des écrans, ultra haute définition). Le rapport insiste sur la remise en question de notre modèle de consommation par tous les acteurs concernés. Les Etats et les collectivités territoriales pourraient ainsi suivre une “commande publique exemplaire” dans leur transformation numérique. 

L’information aux citoyens et l’incitation à des usages numériques sobres font l’objet de plusieurs propositions. La création d’ateliers, de campagnes de sensibilisation et d’information, ainsi que l’encouragement à un usage durable et à la réparation en sont des exemples. L’éducation des citoyens aux impacts environnementaux du numérique inclut aussi la formation au numérique des élèves (mesure n°42).

La FREN propose enfin la création d’un “passeport numérique” pour plus de transparence sur les biens et services numériques (proposition n°14) à l’échelle de l’UE. Le consommateur aurait ainsi instantanément accès à l’origine du produit, sa composition, son degré de réparabilité, le coût énergétique de sa production, ou le lieu pouvant le récupérer en fin de vie. 

Agir sur les comportements de consommation passe ensuite par la responsabilisation des publicitaires, industriels et plateformes. Les propositions de la feuille de route recoupent ici beaucoup d’idées de HOP sur l’obsolescence psychologique : il s’agirait ainsi de limiter les publicités poussant à la surconsommation, d’introduire des messages sur la réparabilité dans les publicités, d’interdire le remplacement d’affiches par des panneaux numériques dans l’espace public, ou encore d’introduire une notion de protection de l’environnement dans le cadre légal de la publicité. 

Des mesures en faveur du réemploi, du reconditionnement et de la réparation

La question des déchets numériques est également abordée par des recommandations ayant trait au recyclage mais aussi et surtout au réemploi et à la réparation des produits.

La FREN reprend ainsi les exigences du futur indice de durabilité, prévu pour 2024. Elle propose aussi d’imposer des objectifs de durabilité et de transparence pour les filières REP (responsabilité élargie du producteur), de lutter contre certaines pratiques empêchant la recyclabilité des produits (composants collés…) et d’améliorer la collecte des déchets électroniques, en développant notamment le réseau des points de collecte.

Le CNNum formule plusieurs propositions pour favoriser le réemploi et la réparation, notamment en mettant en place une cartographie efficace du réseau des réparateurs. Enfin, la FREN propose aussi de renforcer la garantie légale sur les réparations et d’allonger celle du matériel reconditionné, tout en facilitant le dépôt de plainte pour les consommateurs.

La Feuille de route environnement et numérique reprend donc de nombreuses idées ambitieuses pour lutter contre les différentes formes d’obsolescence programmée (logicielle, psychologique, technique). Certaines mesures reprennent  la loi anti-gaspillage promulguée en février 2020. D’autres vont plus loin et intègrent des propositions, notamment sur la publicité, que la loi n’a pas encore actées. Un aspect intéressant concerne aussi la portée européenne donnée à certaines propositions. La FREN apparaît donc comme un rapport pertinent dans son contenu, mais dont la traduction politique concrète est à suivre.

La contribution de HOP à la FREN, par Laetitia Vasseur, co-fondatrice et directrice générale :

“80% des impacts environnementaux du smartphone sont situés lors de sa fabrication. Alors que cette phase est la plus lourde d’impacts, nos smartphones sont utilisés en moyenne pendant 22 mois seulement. Pour un numérique plus durable, il est donc essentiel de lutter contre l’obsolescence des appareils numériques, et en particulier l’obsolescence logicielle qui accélère le renouvellement de nos produits. C’est la conviction de l’association HOP / Halte à l’obsolescence programmée, qui promeut depuis 2015 la durabilité et la réparabilité auprès des décideurs publics et privés. HOP propose dans un livre blanc publié en 2019 50 recommandations pour allonger la durée de vie des produits, notamment numériques, pour protéger le consommateur et l’environnement : créer un indice de durabilité des produits prenant en compte le logiciel, dissocier les mises à jour de sécurité et de confort, imposer la disponibilité des pièces détachées pour les smartphones et les ordinateurs pendant 5 ans au moins pour faciliter leur réparation, favoriser le réemploi, la réparation et le reconditionnement des équipements électroniques.”

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